Nicolas Flamel
LE LIVRE DES FIGURES HIÉROGLYPHIQUES
contenant l'explication des Figures Hiéroglyphiques qu'il a fait mettre au Cimetière
des SS. Innocents
à Paris.
Loué soit éternellement le Seigneur mon Dieu, qui élève l'Humble de la boue, et
fait éjoüir le cœur de ceux qui espèrent en lui : Qui ouvre aux Croyants avec grâce
les sources de sa bénignité, et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les
félicités terriennes. En lui soit toujours notre espérance, en sa crainte notre
félicité, en sa miséricorde la gloire de la réparation de notre nature, et en la
prière notre sûreté inébranlable. Et vous, ô Dieu Tout-puissant, comme votre bonté a
daigné d'ouvrir en la Terre devant moi, votre indigne Serviteur, tous les Trésors des
Richesses du Monde, qu'il plaise à votre clémence, lorsque je ne serai plus au nombre
des Vivants, de m'ouvrir encore les Trésors des Cieux, et me laisser contempler votre face
divine, dont la Majesté est un délice inénarrable, et dont le ravissement n'est jamais
monté en cœur d'Homme vivant. Je vous le demande par le Seigneur Jésus-Christ votre
Fils bien-aimé, qui en l'Unité du Saint-esprit vit avec vous au siècle des siècles.
Encore que moi, Nicolas Flamel, Écrivain et Habitant de Paris, en cette année mil trois
cens quatre-vingt-dix-neuf, et demeurant en ma maison en la rue des Écrivains, près la
Chapelle Saint-Jacques de la Boucherie . encore, dis-je, que je n'aye appris qu'un peu de
Latin, pour le peu de moyens de mes Parents, qui néanmoins étaient par mes Envieux mêmes
estimez Gens de bien, si est-ce que (par la grande grâce de Dieu, et intercession des
bienheureux Saints et Saintes de Paradis, principalement de Saint Jacques), je n'ai pas
laissé d'entendre au long des Livres des Philosophes, et d'y apprendre leurs Secrets si
cachez. C'est pourquoi il ne sera jamais moment en ma vie, me souvenant de ce haut lieu,
qu'à genoux (si le lieu le permet) ou bien dans mon cœur, de toute mon affection, je
n'en rende grâces à ce Dieu très béni, qui ne laisse jamais l'Enfant du Juste mendier
par les portes, et qui ne trompe point ceux qui espèrent entièrement en sa
bénédiction. Donc, ainsi qu'après le décès de mes Parents je gagnais ma vie en notre
Art d'Écriture, faisant des Inventaires, dressant des Comptes, et arrêtant les Dépenses
des Tuteurs et Mineurs, il me tomba entre les mains, pour la somme de deux florins, un
Livre doré, fort vieux et beaucoup large. Il n'étoit point de papier ou parchemin, comme
sont les autres, mais il étoit fait de déliées écorces, (comme il me sembloit) de
tendres Arbrisseaux. Sa couverture étoit de cuivre bien délié, toute gravée de lettres
ou figures étranges ; et quant à moi, je crois qu'elles pouvoient bien être des
caractères Grecs, ou d'autre semblable Langue ancienne. Tant y a que je ne les sçavois
pas lire, et que je sçai bien qu'elles n'étoient point notes ni lettres Latines ou
Gauloises ; car j'y entends un peu. Quant au dedans, ses feuilles d'écorces étoient
gravées, et d'une grande industrie, écrites avec un burin de fer, en belles et très
nettes lettres Latines colorées. Il contenoit trois fois sept feuillets, le septième
lesquels étoit toujours sans écriture. Au lieu de laquelle il y avoit peint au premier
septième une Verge, et des Serpents s'engloutissant, au second septième, une Croix, où
un Serpent étoit crucifié ; au dernier septième étoient peints des Déserts, au milieu
desquels couloient plusieurs belles Fontaines, dont sortoient plusieurs Serpents, qui
couroient par ci et par là . Au premier des feuillets y avoit écrit en Lettres grosses
capitales dorées Abraham Juif, Prince, Prêtre, Lévige, Astrologue, Philosophe, à la
Nation des Juifs, par l'ire de Dieu dispersée aux Gaules SALUT. D.I. Après cela il
étoit rempli de grandes exécrations et malédictions, avec ce mot, MARANATHA, (qui y
étoit souvent répété) contre toute personne qui jetteroit les yeux dessus, s'il n'étoit
Sacrificateur ou Scribe. Celui qui m'avoit vendu ce Livre ne sçavoit pas ce qu'il valloit,
aussi peu que moi quand je l'achetai. Je crois qu'il avoit été dérobé aux misérables
Juifs, ou trouvé quelque part caché dans l'ancien lieu de leur demeure.
Dans ce Livre, au second feuillet, il consoloit sa Nation, la conseillant de fuir les
vices et sur tout l'Idolâtrie, attendant le Messie à venir avec douce patience, lequel
vaincroit tous les Rois de la Terre, et règneroit avec son Peuple en gloire
éternellement. Sans doute, ç'avoit été un Homme fort savants.
Au troisième feuillet, et en tous les autres suivants écrits, pour aider sa captive
Nation à payer les tributs aux Empereurs Romains, et pour faire autre chose, que je ne
dirai pas, il leur enseignoit la Transmutation Métallique en paroles communes, peignoit
les Vaisseaux au côté, et avertissoit des Couleurs et de tout le reste, hormis du
premier Agent, dont il ne parloit point ; mais bien, comme il disoit, il le peignoit et
figuroit par très-grand artifice au quatrième et cinquième feuillets entiers. Car
encore qu'il fût bien intelligiblement figuré et peint, toutefois, aucun ne l'eût su comprendre sans être fort avancé en leur Cabale traditive, et sans avoir bien étudié
les Livres des Philosophes. Donc, le quatrième et cinquième feuillets étoient sans
écriture, tout remplis de belles Figures enluminées, ou peintes, avec grand artifice.
Premièrement, au quatrième feuillet il peignoit un jeune Homme avec des ailes aux
talons, ayant une Verge caducée en main, entortillée de deux Serpents, de laquelle il
frappoit un Casque qui lui couvroit la tête. Il sembloit, à mon avis, le Dieu Mercure
des Payens. Contre lui venoit courant et volant à ailes ouvertes, un grand Vieillard, qui
avoit sur la tête une Horloge attachée et en ses mains une faux comme la Mort, de
laquelle, terrible et furieux, il vouloit trancher les pieds à Mercure.
A l'autre côté du quatrième feuillet, il peignoit une belle Fleur au sommet d'une
Montagne très haute, que l'Aquilon ébranloit fort rudement. Elle avoit la tige bleue,
les fleurs blanches et rouges, les feuilles reluisantes comme l'Or fin, à l'entour de
laquelle les Dragons et Griffons Aquiloniens faisoient leur nid et leur demeure.
Au cinquième feuillet, il y avoit un beau Rosier fleuri au milieu d'un beau Jardin,
appuyé contre un Chêne creux ; au pied desquels bouïllonnoit une Fontaine d'Eau
très-blanche, qui s'alloit précipiter dans des abîmes, passant néanmoins premièrement
entre les mains d'infinis Peuples qui fouïlloient en terre, la cherchant ; mais parce
qu'ils étoient aveugles, nul ne la connoissoit, hormis quelqu'un qui en considéroit le
poids.
A l'autre page du cinquième feuillet, il y avoit un Roi avec un grand coutelas, qui
faisoit tuer en sa présence par des Soldats grande multitude de petits Enfans, les Mères
desquels pleuroient aux pieds des impitoyables Gendarmes, et ce sang étoit puis après
ramassé par d'autres Soldats, et mis dans un grand Vaisseau, dans lequel le Soleil et la
Lune du Ciel se venoient baigner. Et parce que cette Histoire représentoit à peu près
celle des Innocents tuez par Hérode, et qu'en ce Livre-ci j'ai appris la plupart de l'Art,
ç'a été une des causes pourquoi j'ai mis en leur Cimetière ces Symboles
Hyéroglifiques de cette secrète Science. Voilà ce qu'il y avoit en ces cinq premiers
feuillets.
Je ne représenterai point ce qui étoit écrit en beau et très-intelligible Latin en
tous les autres feuillets écrits, car Dieu me puniroit, d'autant que je commetrois plus
de méchanceté que celui, comme on dit, qui désiroit que tous les Hommes du Monde
n'eussent qu'une tête, et qu'il la pût couper d'un seul coup.
Donc, ayant chez moi ce beau Livre, je ne faisois nuit et jour qu'y étudier, entendant
très-bien toutes les Opérations qu'il démontroit ; mais ne sachant point avec quelle
Matière il falloit commencer, ce qui me causoit une grande tristesse, me tenoit solitaire
et faisoit soupirer à tout moment. Ma Femme Perrenelle, que j'aimois autant que
moi-même, laquelle j'avais épousée depuis peu, en étoit toute étonnée, me consolant
et demandant de tout son courage si elle me pourroit délivrer de fâcherie. Je ne pus
jamais tenir ma langue, que je ne lui disse tout, et ne lui montrasse ce beau Livre,
duquel elle fut autant amoureuse que moi-même, prenant un extrême plaisir à contempler
ces belles Couvertures, Gravures, Images et Portraits, à quoi elle entendoit aussi peu
que moi. Toutefois ce m'étoit une grande consolation d'en parler avec elle, et de
m'entretenir de ce qu'il faudroit faire pour en avoir l'interprétation.
Enfin je fis peindre le plus au naturel que je pus dans mon logis toutes ces Figures du
quatrième et cinquième feuillets, que je montrai à Paris à plusieurs Savants, qui
n'y entendirent pas plus que moi. Je les avertissois même que cela avoit été trouvé
dans un Livre qui enseignoit la Pierre Philosophale ; mais la plupart se moquèrent de
moi et de la bénite Pierre, hormis un, appelé M. Anseaulme, qui étoit Licencié en
Médecine, lequel étudioit fort en cette Science. Il avoit grande envie de voir mon
Livre, et n'y eut chose qu'il ne fît pour le voir ; mais je l'assurai toujours que je ne
l'avois point ; bien lui fis-je une grande description de sa Méthode. Il disoit que le
premier représentoit le Temps, qui dévoroit tout, et qu'il falloit l'espace de six ans,
selon les six feuillets écrits, pour parfaire la Pierre ; soutenoit qu'alors il falloit
tourner l'Horloge, et ne cuire plus. Et quand je lui disois que cela n'étoit peint que
pour démontrer et enseigner le premier Agent (comme il étoit dit dans le Livre) il
répondoit que cette coction de six ans étoit comme un second Agent. Que véritablement
le premier Agent y étoit peint, qui étoit l'Eau blanche et pesante, qui sans doute
étoit le Vif-argent, que l'on ne pouvoit fixer, ni lui couper les pieds, c'est-à-dire
lui ôter la volatilité, que par cette longue décoction dans un Sang très-pur de jeunes
Enfans ; que dans ce Sang ce Vif-argent, se conjoignant avec l'Or et l'Argent, se
convertissoit premièrement avec eux en une Herbe semblable à celle qui étoit peinte ;
puis après, par corruption, en Serpents, lesquels étant après entièrement desséchez et
cuits par le feu se réduiroient en Poudre d'Or, qui feroit la Pierre.
Cela fut cause que durant le long espace de vingt-un ans, je fis mille brouilleries, non
toutefois avec le Sang, ce qui est méchant et vilain. Car je trouvois dans mon Livre que
les Philosophes appeloient Sang l'Esprit minéral qui est dans les Métaux, principalement
dans le Soleil, la Lune et le Mercure, à l'assemblage desquels je tendois toujours. Aussi
ces interprétations, pour la plupart, étoient plus subtiles que véritables. Ne voyant
donc jamais en mon Opération les signes au temps écrit dans mon Livre, j'étuis toujours
à recommencer. Enfin, ayant perdu l'espérance de jamais comprendre ces Figures, je fis
un vœu à Dieu, et à S. Jacques de Galice, pour demander l'interprétation d'icelles à
quelque Prêtre Juif, en quelqu'une des Synagogues d'Espagne. Donc, avec le consentement
de Perronelle, portant sur moi l'extrait de ces Figures, ayant pris l'habit et le bourdon,
en la même façon qu'on me peut voir au dehors de cette même Arche en laquelle je mets
ces Figures Hyéroglifiques par dedans le Cimetière, où j'ai aussi mis contre la
muraille, d'un et d'autre côté, une Procession où sont représentées par ordre toutes
les Couleurs de la Pierre, ainsi qu'elles viennent et finissent avec cette écriture Françoise.Moult
plait à Dieu Procession S'elle est faite en dévotion.
Ce qui est quasi le commencement du Livre du Roi Hercules traitant des Couleurs de la
Pierre, intitulé l'Iris, en ces termes : Opercules procession multiple nature placet, etc., que
j'ai mis là tout exprès pour les Savants qui entendront l'allusion. Donc en cette
même façon je me mis en chemin, et enfin j'arrivai à Mont-joie, et puis à S.Jacques,
où avec grande dévotion j'accomplis mon vœu. Cela fait, au retour je rencontrai dans
Léon un Marchand de Boulogne, qui me fit connaître à un Médecin Juif de Nation, et
lors Chrétien, qui y demeurait, et qui étroit fort savants, appelé Maître Canches.
Quand je lui eus montré les Figures de mon extrait, ravi de grand étonnement et de joye,
il me demanda incontinent si je sçavois des nouvelles du Livre duquel elles étoient
tirées. Je lui répondis en Latin, comme il m'avoit interrogé, que j'avois espérance
d'en avoir de bonnes nouvelles, si quelqu'un me déchiffroit ces Énigmes. Tout à
l'instant, emporté de grande ardeur et joye, il commença cie m'en déchiffrer le
commencement. Or pour n'être long, il étoit très-content d'apprendre des nouvelles où
étoit ce Livre, et moi de l'en oüir parler. Et certes il en avoit oüi discourir bien au
long ; mais comme d'une chose qu'on croyait entièrement perdue, comme il disoit. Nous
résolûmes notre voyage, et de Léon nous passâmes à Oviédo, et de là à Sanson, où
nous nous mîmes sur Mer pour venir en France. Notre voyage avoit été assez heureux, et
déjà, depuis que nous étions entrez en ce Royaume, il m'avoit très-véritablement
interprété la plupart de mes Figures, où jusqu'aux points même il trouvoit de grands mystères, (ce que je trouvois fort merveilleux), quand,
arrivants à Orléans, ce savants Homme tomba extrêmement malade, affligé de très-grands vomissements, qui lui étoient
restez de ceux qu'il avoit soufferts sur la Mer. Il craignoit tellement que je le
quittasse, qu'il ne se peut imaginer rien de semblable. Et bien que je fusse toujours à
ses côtés, si m'appelloit-il incessamment. Enfin il mourut sur la fin du septième jour
de sa maladie, dont je fus fort affligé. Au mieux que je pus je le fis enterrer en l'Eglise
de Sainte Croix à Orléans, où il repose encore. Dieu aye son âme, car il mourut bon
Chrétien. Et certes si je ne suis empêché par la mort, je donnerai à cette Église quelques Rentes pour faire dire pour son âme tous les jours quelques Messes.
Qui voudra voir l'état de mon arrivée, et la joye de Perrenelle, qu'il nous contemple
tous deux en cette Ville de Paris sur la Porte de la Chapelle de S.Jacques de la
Boucherie, du côté et tout auprès de ma maison, où nous sommes peints, moi rendant
grâces aux pieds de S. Jacques de Galice, et Perrenelle à ceux de S.Jean, qu'elle avoit
si souvent invoqué. Tant y a que par la grâce de Dieu et l'incercession de la
bienheureuse et Sainte Vierge, je sçûs ce que je désirois, c'est-à-dire les premiers
Principes, non toutefois leur première Préparation, qui est une chose très-difficile
sur toutes celles du Monde. Mais je l'eus à la fin après les longues erreurs de trois
ans ou environ, durant lequel temps je ne fis qu'étudier et travailler ; ainsi qu'on me
peut voir hors de cette Arche (où j'ai mis des Processions contre les deux Pilliers
d'icelle) sous les pieds de S.Jacques et de S.Jean, priant toujours Dieu, le Chapelet en
main, lisant tris attentivement dans un Livre, et pesant les mots des Philosophes, et
essayant puis après les diverses Opérations que je m'imaginois par leurs seuls mots.
Enfin je trouvai ce que je désirois, ce que je reconnus aussitôt par la senteur forte.
Ayant cela, j'accomplis aisément le Magistère. Aussi, sachant la Préparation des
premiers Agens, suivant après à la lettre mon Livre, je n'eusse pu faillir encore que je
l'eusse voulu. Donc la première fois que je fis la Projection, ce fut sur du Mercure,
dont j'en convertis demi livre ou environ en pur Argent, meilleur que celui de la Minière
comme j'ai essayé et fait essayer par plusieurs fois. Ce fut le 17 de Janvier, un Lundi
environ midi, en ma maison, en présence de Perrenelle seule, l'An mil trois cens
quatre-vingt deux. Et puis après, en suivant toujours de mot à mot mon Livre, je la fis
avec la Pierre rouge, sur semblable quantité de Mercure, en présence encore de
Perrenelle seule, en la même maison, le vingt-cinquième jour d'Avril suivant de la même
année, sur les cinq heures du soir, que je transmuai véritablement en quasi autant de
pur Or, meilleur certainement que l'Or commun, plus doux et plus ployable. Je le peux dire
avec vérité. Je l'ai parfaite trois fois avec l'aide de Perrenelle, qui l'entendoit
aussi bien que moi, pour m'avoir aidé aux Opérations ; et sans doute, si elle eût voulu
entreprendre de la faire toute seule, elle en seroit venue à bout. J'en avois bien assez
la faisant une seule fois ; mais je prenais très-grand plaisir à voir et contempler dans
les Vaisseaux les Œuvres admirables de la Nature.
Pour te signifier comme je l'ai faite trois fois, tu verras en cette Arche, si tu le sais
connoître, trois Fourneaux semblables à ceux qui servent à nos Opérations.
J'eus crainte longtemps que Perrenelle ne pût cacher la joye de sa félicité extrême,
que je mesurois par la mienne, et qu'elle ne lâchât quelque parole à ses Parents des
grands Trésors que nous possédions ; car l'extrême joye ôte le sens, aussi bien que la
grande tristesse. Mais la bonté du très-grand Dieu ne m'avoit pas comblé de cette seule
bénédiction que de me donner une Femme chaste et sage, elle étoit encore non seulement
capable de raison, mais aussi de parfaire ce qui étoit raisonnable, et plus discrète et secrète
que le commun des autres Femmes. Sur tout elle étoit fort dévote ; c'est
pourquoi, se voyant sans espérance d'Enfans, et déjà bien avant sur l'âge, elle
commença tout de même que moi à penser à Dieu, et à vaquer aux œuvres de miséricorde.
Lorsque j'écrivois ce Commentaire, en l'An mil quatre cent treize, sur la fin de l'An,
après le trépas de ma fidèle Compagne, que je regréterai tous les jours de ma vie,
elle et moi avions déjà fondé et renté quatorze Hopitaux en cette Ville de Paris ;
bâti tout de neuf trois Chapelles ; décoré de grands dons et bonnes rentes sept Églises,
avec plusieurs réparations en leurs Cimetières, outre ce que nous avions fait à
Bologne, qui n'est guère moins que ce que nous avons fait ici. Je ne parlerai point du
bien que nous avons fait ensemble aux pauvres Particuliers, principalement aux Veuves et
pauvres Orphelins. Si je disois leur nom, et comment je faisois cela, outre que le salaire
ne m'en seroit pas donné en ce Monde, je pourrois faire déplaisir à ces bonnes
Personnes (que Dieu veuille bénir), ce que je ne voudrois faire pour rien du monde.
Bâtissant donc ces Églises, Cimetières et Hôpitaux en cette Ville, je me résolus de
faire peindre en la quatrième Arche du Cimetière des Innocents (entrant par la grande
porte de la rue S. Denis, en prenant la main droite) les plus vraies et essentielles
marques de l'Art, sous néanmoins des voiles et couvertures Hiéroglyphiques à l'imitation
de celles du Livre doré du Juif Abraham, pouvant représenter deux choses selon la
capacité et sçavoir de ceux qui le.; verront : premièrement les Mystères de notre
Résurrection future et indubitable, au jour du Jugement et Avènement du bon Jésus
(auquel plaise nous faire miséricorde), histoire qui convient bien à un Cimetière. Et
puis après encore, pouvant signifier à ceux qui sont entendus en la Philosophie
Naturelle toutes les principales et nécessaires Opérations du Magistère.
Ces Figures Hiéroglyphiques serviront comme de deux chemins pour mener à la vie céleste.
Le premier sens plus ouvert, enseignant les sacrés Mystères de notre Salut, ainsi que je
démontrerai ci-après. Et l'autre, enseignant à tout Homme, pour peu entendu qu'il soit
en la Pierre, la droite voye de l'Œuvre, laquelle étant parfaite par quelqu'un, le
change de mauvais en bon, lui ôte la racine de tout péché (qui est l'Avarice) le
faisant libéral, doux, pieux, religieux et craignant Dieu, quelque mauvais qu'il fût
auparavant. Car après cela il demeure toujours ravi dans la grande grâce et miséricorde
qu'il a obtenue de Dieu, et de la profondeur de ses Œuvres divines et admirables. Ce
sont les causes qui m'ont obligé à mettre ces Figures en cette façon, et en ce Lieu,
qui est un Cimetière, afin que si quelqu'un obtient ce bien inestimable que de conquérir
cette riche Toison, il pense comme moi de ne tenir point le talent de Dieu caché dans la
terre, achetant Terres et Possessions, qui font les vanités de ce Monde ; mais plutôt de
secourir charitablement ses Frères, se souvenant d'avoir appris ce Secret parmi les ossements
des Morts, avec lesquels il se doit bientôt trouver, et qu'après cette vie
passagère, il faudra rendre compte devant un juste et redoutable Juge, qui censurera
jusqu'à la parole oiseuse et vaine.
Que donc celui, qui ayant pesé mes mots, et bien connu et entendu mes Figures (sachant
d'ailleurs les premiers Principes et Agents, car certainement il n'en trouvera aucun
vestige ou enseignement en ces Figures et Commentaires) fasse à la gloire de Dieu le
Magistère d'Hermès, se souvenant de Église Catholique, Apostolique et Romaine, et de
toutes les autres Églises, Cimetières et Hôpitaux, et sur tout de Église des
SS.Innocens de cette Ville, au Cimetière de laquelle il aura contemplé ces véritables
démonstrations, ouvrant très-largement sa bourse aux pauvres Honteux, Gens de bien
désolez, Infirmes, Femmes veuves et pauvres Orphelins. Ainsi soit-il.
Des Interprétations Théologiques qu'on peut donner à ces Hiéroglyphes,
selon mon sens.
CHAPITRE PREMIER
J'ai donné à ce Cimetière un Charnier qui est vis-à-vis de cette quatrième Arche, le
Cimetière au milieu : et contre l'un des Pilliers de ce Charnier, j'ai fait crayonner et
peindre grossièrement un Homme tout noir, qui regarde ces Hiéroglyphes, à l'entour
duquel il y a écrit en Français : Je vois merveille, dont moult je m'ébahis. Cela et
encore trois Plaques de fer et cuivre doré, à l'Orient, Occident et Midi de l'Arche, où
sont ces Hiéroglyphes, le Cimetière au milieu, représentants la sainte Passion et
Résurrection du Fils de Dieu, cela, dis-je, ne doit point être autrement interprété
que selon le Sens commun Théologique, si ce n'est que cet Homme noir peut aussi bien
crier merveille de voir les oeuvres admirables de Dieu en la Transmutation des Métaux,
qui sont figurées en ces Hiéroglyphes, qu'il regarde si attentivement, que de voir
enterrer tant de corps morts, qui se lèveront hors de leurs Tombeaux au jour redoutable
du Jugement. D'ailleurs, je ne pense point qu'il faille expliquer en Sens Théologique ce
Vaisseau de terre à la main droite de ces Figures, dans lequel il y a une Écritoire, ou plutôt un Vaisseau de Philosophie (si on en ôte les liens et que l'on joigne le canon au
cornet), non plus que les deux autres Vaisseaux semblables, qui sont aux côtés des
Figures de S. Pierre et de S. Paul, dans l'un desquels il y a une N. qui veut dire
Nicolas, et dans l'autre une F. qui veut dire Flamel. Car ces Vaisseaux ne signifient rien
sinon que dans de semblables j'ai fait par trois fois le Magistère.
Qui voudra aussi croire que j'ai mis ces Vaisseaux en forme d'Armoires, pour y faire
représenter celle Écritoire et les lettres Capitales de mon nom, qu'il le croye s'il
veut, parce que toutes ces deux interprétations sont véritables.
Il ne faut point aussi interpréter en Sens Théologique cette écriture qui suit en ces
termes, Nicolas Flamel et Perrenelle sa Femme, d'autant qu'elle ne signifie autre chose,
sinon que moi et ma Femme avons fait bâtir cette Arche.
Quant aux troisième, quatrième et cinquième Tableaux suivants, au bas desquels il y a
écrit, Comment les Innocents furent occis par le commandement du Roi Herodes, le Sens
Théologique s'y entend aussi assez par cette écriture ; il faut seulement parler du
reste qui est au-dessus.
Les deux Dragons unis, et l'un dans l'autre, de couleur noire et bleue, en Champ de
Sable, c'est-à-dire noir, dont l'un a des ailes dorées, et l'autre n'en a point, sont
les péchés, qui naturellement s'entretiennent ; car l'un a sa naissance de l'autre. De
ces péchés, les uns peuvent être chassez aisément, comme ils viennent aisément ; car
ils volent à toute heure vers nous. Mais ceux qui n'ont point d'ailes ne peuvent être
chassez, ainsi qu'est le péché contre le S. Esprit. Cet Or des ailes signifie que la
plupart de ces péchés viennent de la sacrée faim de l'Or, oui rend tant de Personnes
attentives, et qui leur fait si attentivement penser d'où ils en pourront avoir. Et la
couleur noire et bleue démontre que ce sont des désirs qui sortent du ténébreux puits
d'enfer, lesquels nous devons entièrement fuir. Ces deux Dragons peuvent encore
représenter moralement les Légions des malins Esprits, qui sont toujours à l'entour de
nous, et qui nous accuseront devant le juste Juge au jour redoutable du Jugement, lesquels
me demandent qu'à nous cribler.
L'Homme et la Femme, qui viennent après, de couleur orangée sur un Champ azuré et bleu,
signifient que l'Homme et la Femme ne doivent pas avoir leur espoir en ce Blonde (car
l'orange marque désespoir) ou laisser toute espérance ici. Et la couleur azurée et bleue, sur laquelle ils sont peints, représente qu'il faut penser aux choses célestes
futures et dire comme le Rouleau de l'Homme, Homo veniet ad Judicium Dei, c'est-à-dire,
l'Homme viendra au Jugement de Dieu. Ou comme celui de la Femme, Vere illa dies tenibilis
erit, c'est-à-dire, Certes ce jour sera terrible, afin que nous gardans des Dragons, qui
sont les péchés, Dieu nous fasse miséricorde.
Ensuite de cela, en Champ de Synople, c'est-à-dire vert sont peints deux Hommes et une
Femme ressuscitans, desquels l'un sort d'un Sépulcre, les deux autres de la Terre ; tous
trois de couleur très-blanche et pure, levant les mains devant leurs yeux vers le Ciel,
sur lesquels il y a deux Anges sonnants des Instruments musicaux, comme s'ils avoienf appelé
ces Morts au jour du Jugement. Car au-dessus des deux Anges est la figure de
notre Seigneur Jésus-Christ, tenant le blonde en sa main, sur la tête duquel un Ange met
une Couronne, assisté de deux autres, qui disent en leurs Rouleaux, ô Pater omnipotents,
ô Jésus bone ! O Père tout puissant, ô bon Jésus ! Au côté droit du Sauveur est
peint S. Paul, vêtu de blanc orangé, avec une épée, aux pieds duquel est un Homme
vêtu d'une robe orangée, en laquelle apparoissent des plis noirs et blancs, qui me
ressemble au vif, lequel demande pardon de ses péchés, tenant les mains jointes,
desquelles sortent ces paroles écrites en un Rouleau, Dele mala quae feci : ôtez les
maux que j'ai faits. De l'autre côté, à la main gauche, est S. Pierre avec sa clef,
vêtu de rouge orangé, tenant la main sur une Femme vêtüe d'une robe orangée qui est
à ses genoux, représentant au vif Perrenelle, laquelle tient les mains jointes, ayant un
Rouleau où est écrit Christe precor esto pius : ô Christ soyez moi miséricordieux ;
derrière laquelle il y a un Ange à genoux avec un Rouleau, qui dit : Salve Domine
Angelorum : je vous salue, ô Seigneur des Anges. Il y aussi un autre Ange à genoux
derrière mon Image du côté de S. Paul. Qui tient aussi un Rouleau, disant : O Rex
sempi-terne ! ô Roi éternel ! Tout cela est très-clair, selon l'explication de la
Résurrection du Jugement futur, qu'on y peut aisément adapter : aussi il semble que
cette Arche n'ait été peinte que pour représenter cela, c'est pourquoi il ne s'y faut
point arrêter davantage, puisque les moindres et les plus Ignorais lui sauront bien
donner cette interprétation.
Après les trois Ressuscitans, viennent deux Anges de couleur orangée encore, sur un
Champ bleu, disans en leurs Rouleaux : Sur-gite Mortui, venite ad Judicium Domini mei :
morts levez-vous, venez au Jugement de mon Seigneur. Cela encore sert à l'interprétation
de la Résurrection. Tout de même que les Figures suivantes et dernières, qui sont un
Champ violet de l'Homme rouge-vermillon, qui tient le pied d'un Lion peint de
rouge-vermillon aussi, qui a des ailes, ouvrant la gueule comme pour dévorer. Car on peut
dire que celui-là représente le malheureux Pécheur qui, dormant léthargique ment dans
la corruption des vices, meurt sans repentance et confession, lequel sans doute, en ce
Jour terrible, sera livré au Diable, ici peint en forme de Lion rouge rugissant, qui
l'engloutira et emportera.
Les Interprétations Philosophiques selon le Magistère d'Hermès.
CHAPITRE II
Je désire de tout mon cour que celui qui cherche ce Secret des Sages, ayant repassé en
son esprit ces Idées de la Vie et Résurrection future, fasse premièrement son profit
d'icelles. Qu'en second lieu, il soit plus avisé qu'auparavant, qu'il sonde et profonde
mes Figures, Couleurs et Rouleaux ; notamment mes Rouleaux, parce qu'en cet Art on ne
parle point vulgairement. Qu'il demande après en soi-même pourquoi la Figure de S. Paul
est à la main droite, au lieu où on a coutume de peindre S. Pierre, et celle de S.
Pierre, au lieu de S. Paul. Pourquoi la Figure de S. Paul est vêtue de couleur blanche
orangée, et celle de S. Pierre d'orangé rouge ; Pourquoi aussi l'Homme et la Femme qui
sont aux pieds de ces deux Saints, priants Dieu comme s'ils étoient au jour du Jugement,
sont habillez de couleurs diverses, et ne sont pas nus en ossements comme ressuscitant.
Pourquoi en ce jour du Jugement on a peint cet Homme et cette Femme aux pieds des Saints ;
car ils doivent être plus bas en Terre, et non au Ciel. Pourquoi aussi les deux Anges
orangés, qui disent en leurs Rouleaux, Surgite Mortui, venite ad Judicium Domini mei,
c'est-à-dire, Morts levez-vous, venez au Jugement de mon Seigneur, sont vêtus de cette
couleur, et hors de leur place ; car elle doit être en haut du Ciel, avec les deux autres
qui sonnent des Instruments. Pourquoi ils ont un Champ violet et bleu ; mais, principalement, pourquoi leur Rouleau, qui parle aux Morts, finit en la gueule ouverte du
Lion rouge et volant. Je voudroie donc qu'après ces questions et plusieurs autres, qu'on
peut justement faire, ouvrant entièrement les yeux de l'Esprit, il vînt à conclure que
cela n'ayant point été fait sans cause, on doit avoir représenté sous leur écorce
quelques grands Secrets qu'il doit prier Dieu de lui découvrir.
Ayant ainsi conduit sa créance par degrés, je souhaite encore qu'il croie que ces
Figures et Explications ne sont point faites pour ceux qui n'ont jamais vu les Livres des
Philosophes, et qui, ignorants les Principes Métalliques, ne peuvent être nommez Enfans
de la Science. Car s'ils veulent entendre entièrement ces Figures, ignorants le premier
Agent, ils se tromperont sans doute, et n'y entendront jamais rien. Que personne donc ne
me blâme, s'il ne m'entend aisément ; car il sera plus blâmable que moi, d'autant que
n'étant point initié en ces sacrées et secrètes Interprétations du premier Agent (qui
est la Clef ouvrant les portes de toutes Sciences), néanmoins il veut entendre les
Conceptions les plus subtiles des Philosophes qui ont été très-envieux, et qui ne les
ont écrites que pour ceux qui sçavent déjà ces Principes, lesquels ne se trouvent
jamais en aucun Livre, parce qu'ils les laissent à Dieu, qui les révèle à qui lui
plait, ou bien les fait enseigner de vive voix par un Maître par tradition Cabalistique,
ce qui arrive très rarement.
Or mon Fils (je te peux ainsi appeler car je suis déjà fort vieux, et d'ailleurs,
peut-être, tu es Fils de la Science), Dieu te laisse apprendre, et puis travailler à sa
gloire ; écoute-moi donc attentivement ; mais ne passe pas plus avant, si tu ignores les
Principes dont je viens de parler.
PREMIÈRE FIGURE
Une Écritoire dans une Niche faite en forme de Fourneau.
CHAPITRE III
Explication de cette Figure, avec la manière du Feu.
Ce Vaisseau de terre en cette forme, est appelé par les Philosophes le triple Vaisseau ;
car dans son milieu il y a un étage, sur lequel il y a un Écuelle pleine de Cendres
tièdes, dans lesquelles est posé l'Œuf Philosophique, qui est un Matras de verre que tu
vois peint en forme Écritoire, et qui est plein de Confections de l'Art, c'est-à-dire
de l'Écumes de la Mer Rouge, et de la Graisse du Vent Mercurial. Or ce Vaisseau de terre
s'ouvre par dessus, pour y mettre au dedans Écuelle et le Matras, sous lesquels, par
cette porte ouverte, se met le feu philosophique, comme tu sais Ainsi tu as trois
Vaisseaux, et le Vaisseau triple. Les Envieux l'on appelé Athanor, Crible, Fumier,
Bain-Marie, Fournaise, Sphère, Lion Verd, Prison, Sépulcre, Urinal, Phiole, Cucurbite,
moi-même en mon Sommaire Philosophique ' que j'ai composé il y a quatre ans deux mois,
je le nomme sur la fin, la Maison et Habitacle du Poulet, et j'appelle les Cendres de Écuelle
la paille du Poulet. Son commun nom est Fourneau, que je n'eusse jamais trouvé, si
Abraham Juif ne l'eût peint avec son Feu proportionné, auquel consiste une grande partie
du Secret. Il est comme le Ventre et la Matrice, contenant la vraie chaleur naturelle pour
animer notre jeune Roi. Si ce Feu n'est mesuré clibaniquement, dit Calid ; s'il est
allumé avec l'épée, dit Pythagoras ; si tu enflâmes ton Vaisseau, dit Morienus et lui
fais sentir l'ardeur du feu, il te donnera un soufflet, et brûlera ses fleurs avant
qu'elles soient montées du profond de ses moüelles, et elles sortiront rouges plutôt
que blanches ; et lors ton Opération sera détruite, tout de même que si tu fais trop de
feu. Car alors aussi tu n'en verras jamais la fin, à cause que les Natures sont
refroidies et morfondues, et qu'elles n'auront point eu des mouvements assez puissants
pour se digérer ensemble.
La Chaleur de ton feu, en ce Vaisseau, sera, comme dit Hermès et Rosinus, selon l'Hiver,
ou bien ainsi que dit Diomèdes, selon la chaleur de l'Oiseau qui commence à isoler fort
lentement depuis le Signe d'Aries, jus-qu'à celui de Cancer. Car sache que l'Enfant, du
commencement, est plein de flegme froid et de lait, et que la chaleur trop véhémente est
ennemie de la froideur et humidité de notre Embryon, et que les deux Ennemis,
c'est-à-dire nos Éléments du froid et du chaud, ne s'embrasseront jamais parfaitement que
peu à peu, ayant premièrement fait une longue demeure ensemble au milieu de la
tempérée chaleur de leur Bain, et s'étant changez par longue Décoction en Soufre
incombustible. Gouverne donc doucement, avec égalité et proportion, tes Natures
hautaines, de peur que si tu en favorises plus les unes que les autres, elles qui sont
naturellement ennemies ne se dépitent contre toi par jalousie et colère sèche, et ne te
fassent temps soupirer.
Outre cela, il te les faut entretenir perpétuellement en cette chaleur tempérée,
c'est-à-dire nuit et jour, jusqu'à ce que l'Hiver, c'est-à-dire le temps de l'Humidité
des Matières, soit passé, parce qu'elles font leur paix et se donnent la main en
s'échauffant ensemble, et que si elles se trouvaient seulement une demie heure sans feu,
ces Natures seroient à jamais irréconciliables. Voilà pourquoi il est dit au Livre des
septante Préceptes : fais que leur feu dure continuellement et sans cesse, et qu'aucuns
de leurs jours ne soient point oubliez. Et Rasis : la hâte, que mène avec soi trop de
feu, est toujours suivie du Diable et de l'Erreur. Quand l'Oiseau doré, dit Diomè-des,
sera parvenu jusqu'au Cancer, que de là il courra vers les Balances, alors il te faudra
augmenter un peu le feu. Et tout de même encore quand ce bel Oiseau s'envolera de Libra
vers le Capricorne, qui est le désiré Automne, le temps des moissons et des fruits déjà
mûrs.
SECONDE FIGURE
Deux Dragons de Couleur jaunâtre, bleue et noire comme le Champ
CHAPITRE IV.
Explication de cette Figure.
Considérez bien ces deux Dragons, car ce sont les vrais Principes de la Philosophie, que
les Sages n'ont pas osé montrer à leurs Enfans propres. Celui qui est dessous, sans
ailes, c'est le Fixe, ou le Mâle ; celui qui est au-dessus, c'est le Volatil, ou bien la
Femelle noire et obscure, qui va prendre la domination par plusieurs mois. Le premier est appelé
Soulfre, ou bien Calidité et Siccité,et le dernier, Argent-Vif, ou Frigidité
et Humidité.Ce sont le Soleil et la Lune de Source Mercurielle, et Origine Sulphureuse,
qui par le feu continuel s'ornent d'Habillemens Royaux, pour vaincre toute chose
métallique, solide, dure et forte, lorsqu'ils seront unis ensemble, et puis changez en
Quintessence. Ce sont ces Serpents et Dragons que les anciens Egyptiens ont peints en
cercle, la tête mordant la queue, pour dire qu'ils étoient sortis d'une même chose, et
qu'elle seule étoit suffisante à elle-même, et qu'en son contour et circulation elle se
parfaisoit. Ce sont ces Dragons que les anciens Poètes ont mis à garder sans dormir les
Pommes dorées des Jardins des Vierges Hespérides. Ce sont ceux sur lesquels, Jason, en
l'aventure de la Toison d'Or, versa le jus préparé par la belle Médée : des discours
desquels les Livres des Philosophes sont si remplis, qu'il n'y a point de Philosophe qui
n'en ait écrit depuis le véridique Hermès Trismégiste, Orphée, Pythagoras,
Arthéphius, Morienus, et les autres suivants, jusqu'à moi.
Ce sont ces deux Serpents envoyez par Junon, qui est la Nature métallique, que le fort
Hercule, c'est-à-dire le Sage, doit étrangler en son berceau : je veux dire, vaincre, et
tuer, pour faire pourrir, corrompre, et engendrer, au commencement de son Œuvre. Ce sont
les deux Serpents attachés autour du Caducée, ou verge de Mercure, avec lesquels il
exerce sa grande puissance, et se transfigure et se change comme il lui plaît. Celui, dit
Haly, qui en tuera l'un, il tuera aussi l'autre, parce que l'un ne peut mourir qu'avec son
Frère.
Ces deux-ci (qu'Avicène appelle Chiene de Corassène et Chien d'Arménie) étant donc mis
ensemble dans le Vaisseau du Sépulcre, ils se mordent tous deux cruellement ; et par leur
grand poison et rage furieuse, ne se laissent jamais depuis le moment qu'ils se sont pris
et entresaisis (si le froid ne les empêche) que tous deux, de leur bavant venin et
mortelles blessures, ne se soient ensanglantez par toutes les parties de leur Corps, et
finalement s'entre-tuant, ne se soient étouffez dans leur venin propre, qui les change,
après leur mort, en Eau vive, et permanente ; avant quoi, ils perdent avec la corruption
et putréfaction leurs premières Formes naturelles, pour en reprendre après une seule
nouvelle plus noble et meilleure.
Ce sont ces deux Spermes, masculin et féminin décrits au commencement de mon Sommaire
Philosophique, qui sont engendrez (dit Rasis, Avicène, et Abraham Juif) dans les reins,
entrailles, et des opérations des quatre éléments. Ce sont l'Humide radical des
Métaux, Soulfre et Argent-Vif, non les vulgaires et qui se vendent par les Marchands
Droguistes ; mais ce sont ceux que nous donnent ces deux beaux et chers Corps, que nous
aimons tant. Ces deux Spermes, disoit Démocrite, ne se trouvent point sur la terre des Vivants
Le même dit Avicène, mais, ajoute-t-il, on les recueille de la fiente, Ordure et
pourriture du Soleil et de la Lune. O que bien heureux sont ceux qui le savent recueillir ! car d'eux puis après ils en font une Thériaque, qui a puissance sur toute
douleur, tristesse, maladie, infirmité et débilité, qui combat puissamment contre la
mort, prolongeant la vie selon la permission de Dieu, jusqu'au temps déterminé, en
triomphant des misères de ce Monde et comblant l'Homme de ses richesses.
De ces deux Dragons ou Principes Métalliques, j'ai dit en mon Sommaire que l'Ennemi
enflammeroit par son ardeur le feu de son Ennemi ; et qu'alors, si l'on n'y prenoit garde,
on verroit par l'Air une fumée venimeuse, et de mauvaise odeur, pire en flamme et en
poison que n'est la tête envenimée d'un Serpent et d'un Dragon Babylonien.
La cause pourquoi j'ai peint ces deux Spermes en forme de Dragons, c'est parce que leur
puanteur est très-grande, comme est celle des Dragons, et les exhalaisons qui montent
dans le Matras sont obscures, noires, bleues et jaunâtres, ainsi que sont ces deux
Dragons peints ; la force desquels, et des Corps dissous, est si venimeuse que
véritablement il n'y a point au Monde un plus grand venin. Car il est capable, par la
force et puanteur, de faire mourir et tuer toute chose vivante. Le Philosophe ne sent
jamais cette puanteur, s'il ne casse ses Vaisseaux ; mais seulement il la juge être telle
par la vue et changement des Couleurs qui proviennent de la pourriture de ses Confections,
Ces Couleurs donc signifient la Putréfaction et Génération qui nous est donnée par la
morsure et dissolution de nos Corps parfaits ; laquelle dissolution vient de la chaleur
externe qui aide, et de l'Ignéité Pontique, et vertu aigre admirable du poison de notre
Mercure, qui met et résout en pure poussière, même en poudre impalpable, ce qu'il
trouve qui lui résiste. Ainsi la chaleur agissant sur et contre l'humidité radicale
métallique, visqueuse ou oléagineuse, engendre sur le Sujet la noirceur. Car au même temps
la Matière se dissout, se corrompt, noircit, et conçoit pour engendrer. Parce que
toute Corruptionest Génération, et l'on doit toujours souhaiter cette noirceur. Elle est
aussi ce voile noir avec lequel le Navire de Thésée revint victorieux de Crète, qui fut
cause de la mort de son Père. Aussi faut-il que le Père meure, afin que des cendres de
ce Phœnix il en renaisse un autre, et que le Fils soit Roi.
Certes, qui ne voit cette noirceur, au commencement de ses Opérations, durant les jours
de la Pierre, quelle autre couleur qu'il voye, il manque entièrement au Magistère, et ne
le peut plus parfaire avec ce Cahos. Car il ne travaille pas bien, ne putréfiant point ;
d'autant que si l'on ne pourrit, on ne corrompt ni n'engendre point. Par conséquent, la
Pierre ne peut prendre vie végétative pour croître et multiplier. Et véritablement je
te dis derechef que quand même tu travaillerois sur les vraies Matières, si au
commencement, après avoir mis les Confections dans l'Œuf Philosophique (c'est-à-dire
quelque temps après que le feu les a irritées), tu ne vois cette tête du Corbeau, noire
du noir très-noir, il te faut recommencer. Car cette faute est irréparable, et on ne la
sçau-rait corriger. Sur tout, on doit craindre une Couleur orangée, ou demi-rouge ;
parce que si dans ce commencement tu la vois dans ton Oeuf, sans doute tu brûles ou as
brûlé la verdeur et vivacité de la Pierre. La Couleur qu'il te faut avoir doit être
entièrement parfaite en noirceur, semblable à celle de ces Dragons, et ce en l'espace de
quarante jours.
Que donc ceux qui n'auront point ces marques essentielles se retirent de bonne heure des
Opérations, afin qu'ils évitent une perte assurée. Sache aussi et remarque bien que
ce n'est rien en cet Art d'avoir la noirceur, il n'y a rien plus aisé à avoir. Car
presque de toutes les choses du monde mêlées avec l'humidité, tu en auras la noirceur
par le feu. Il te faut avoir une noirceur qui provienne des Corps Métalliques parfaits,
qui dure un long espace de temps, et qui ne se perde qu'en cinq mois, après laquelle vient
et succède la désirée blancheur. Si tu as cela, tu as beaucoup, mais non pas tout.
Quant à la couleur bleuâtre et jaunâtre, elle signifie que la solution et putréfaction
n'est point encore achevée, et que les Couleurs de notre Mercure ne sont point encore
bien mêlées et pourries avec ce qui reste.
Donc cette Noirceur et Couleurs enseignent clairement qu'en ce commencement la Matière ou
le Composé commence à se pourrir et dissoudre en poudre plus menue que les Atomes du
Soleil, lesquels se changent après en Eau permanente. Et cette Dissolution est appelée par les Philosophes envieux Mort, Destruction et Perdition, parce que les Natures changent
de forme. De là sont sorties tant d'Allégories sur les Morts, Tombes et Sépulchres. Les
autres l'ont nommée Calcination, Dénudation, Séparation, Trituration, Assation, parce
que les Confections sont changées et réduites en très-menues pièces ou parties. Les
autres Réduction en première Matière, Mollification, Extraction, Commixtion,
Liquéfication, Conversion d'Elemens, Subtiliation, Division, Humation, Impastation, et Distillation, parce que les Confections sont liquéfiées, réduites en semence,
amollies, et se circulent dans le Matras. Les autres Xir, Putréfaction, Corruption,
Ombres Cimmériennes, Gouffre, Enfer, Dragon, Génération, Ingression, Submersion,
Complexion, Conjonction, et Imprégnation parce que la Matière est noire et aqueuse, et
que les Natures se mêlent parfaitement, et se retiennent les unes les autres. Car quand
la chaleur du Soleil agit sur elles, elle se changent premièrement en Poudre, ou Eau
grasse et gluante, qui, sentant la chaleur, s'enfuit en haut en la tête du Poulet avec la
fumée, c'est-à-dire avec le Vent et l'Air ; de-là cette Eau, tirée et fondue des
Confections, elle s'en rêva en bas, et en descendant réduit et résout tant qu'elle peut
le reste des Confections aromatiques, faisant toujours ainsi jusqu'à ce que tout soit
comme un bouillon noir un peu gras. Voilà pourquoi on appelle cela Sublimation, et Volatilisation, car
il vole en haut, et Ascension et Descension, parce qu'il monte et
décend dans le Vaisseau.
Quelque temps après, l'Eau commence à s'engrossir et coaguler davantage, venant comme de
la Poix très-noire ; et enfin vient Corps et Terre, que les Envieux ont appelée Terre
fétide et puante car alors, à cause de la parfaite putréfaction (qui est aussi
naturelle que toute autre), cette Terre est puante, et donne une odeur semblable au relent
des Sépulcres remplis de pourriture et ossements encore chargez d'humeur naturelle.
Cette Terre a été appelée par Hermès la Terre des feuilles, néanmoins son plus
propre et vrai nom est le Laiton qu'on doit puis après blanchir. Les anciens Sages
Cabalistes l'ont décrite dans les Métamorphoses sous l'Histoire du Serpent de Mars, qui
avoit dévoré les Compagnons de Cadmus, lequel le tua en le perçant de sa Lance contre
un Chêne creux. Remarque ce Chêne .
TROISIÈME FIGURE
Un homme et une Femme, vêtus de Robe orangée, sur un champ azuré et bleu, avec leurs
Rouleaux.
CHAPITRE V
Explication de cette Figure.
L'Homme ici dépeint me ressemble tout exprès bien au naturel, tout de même que la Femme
représente très-naïvement Perrenelle. La cause pourquoi nous sommes peints au vif n'a
rien de particulier. Car il ne falloit représenter que le Mâle et la Femelle, à quoi
notre particulière ressemblance n'étoit pas nécessairement requise. Mais il a plu au
sculpteur de nous mettre là, tout ainsi qu'il a fait aussi en cette même Arche plus
haut, aux pieds de la Figure de S. Paul et de S. Pierre, selon que nous étions en notre
jeunesse ; et encore ailleurs en plusieurs lieux, comme fut la porte de la Chapelle S.
Jacques de la Boucherie, auprès de ma maison (encore qu'en cette dernière il y a une
raison particulière) comme aussi sur la porte de sainte Geneviève des Ardens, où tu
pourras me voir.
Je te peins donc ici deux Corps, un de Mâle, et l'autre de Femelle, pour t'enseigner
qu'en cette seconde Opération tu as véritablement, mais non pas encore parfaitement,
deux Natures conjointes, et mariées, la masculine et la féminine, ou plutôt les quatre
Elemens ; et que les Ennemis naturels, le Chaud et le Froid, le Sec et l'Humide,
commencent de s'approcher amiablement les uns des autres, et par le moyen des
Entremetteurs de paix, déposent peu à peu l'ancienne inimitié du vieil Chaos. Tu sais assez qui sont ces Entremetteurs entre le Chaud et le Froid : c'est l'Humide ; car il est
parent et allié des deux, du Chaud par sa chaleur, et du Froid par son humidité. Voilà
pourquoi commencer à faire cette paix, tu as déjà en l'Opération précédente converti
toutes les Confections en Eau par la dissolution. Et puis après tu as fait coaguler l'Eau
nécessaire, qui s'est convertie en cette Terre noire du noir très-noir, pour faire
entièrement la paix. Car la Terre qui est sèche et humide, se trouvant aussi parente et
alliée avec le Sec et l'Humide, qui sont Ennemis, les apaisera et accordera
entièrement. Ne considères-tu pas un mélange très-parfait de tous ces quatre Élément,
les ayant premièrement convertis en Eau, et maintenant en Terre. Je t'enseignerai encore
ci-après les autres conversions en Air quand tout sera blanc, et en Feu quand tout sera
d'un parfait rouge de Pourpre.
Tu as donc ici deux Natures mariées, dont l'une a conçu de l'autre, et par cette
conception s'est convertie en Corps de Mâle, et le Mâle en celui de Femelle,
c'est-à-dire se sont faites un seul Corps, qui est l'Androgine des Anciens, qu'autrement
on appelle encore la Tête du Corbeau, et les Élément convertis. En cette façon je te
peins ici que tu as deux Natures réconciliées, qui (si elles sont conduites et régies
sagement) peuvent former un Embryon en la matrice du Vaisseau, et puis t'enfanter un Roi
très-puissant, invincible, et incorruptible, parce qu'il sera une Quintessence admirable.
Voilà la principale fin de cette représentation, et la plus nécessaire.
La seconde, qui est aussi très-notable, sera qu'il me falloit dépeindre deux Corps,
parce qu'il faut qu'en cette Opération tu divises ce qui a été coagulé, pour en donner
puis après une nourriture, un lait de vie, au petit Enfant naissant, qui est doué (par
le Dieu vivant) d'une Ame végétative. Ce qui est un secret très-admirable et
très-caché, qui a fait raffoler, faute de le comprendre, tous ceux qui l'ont cherché
sans le trouver ; et qui a rendu sage toute Personne qui l'a contemplé des yeux du corps,
ou de l'esprit.
Il te faut donc faire deux parts et portions de ce Corps coagulé, l'une desquelles
servira d'Azoth pour laver et mondifier l'autre, qui s'appelle Laiton, qu'il faut
blanchir. Celui qui est lavé, c'est le Serpent Python, qui, ayant pris son être de la
corruption du limon de la Terre, assemblé par les Eaux du Déluge, quand toutes les
Confections étoient Eau, doit être mis à mort, et vaincu par les flèches du Dieu
Apollon, par le blond Soleil, c'est-à-dire par notre Feu, égal à celui du Soleil.
Celui qui lave, ou plutôt ces lavements, qu'il faut continuer avec l'autre moitié, ce
sont les dents de ce Serpent que le sage Opérateur, le vaillant Thésée, sèmera dans la
même terre, dont naîtront des Soldats qui se détruiront enfin eux-mêmes, se laissant
par opposition résoudre en la même nature de la terre, laissant emporter les conquêtes
méritées.
C'est sur ceci que les Philosophes ont décrit si souvent et tant de fois répété. Il se
dissout soi-même, se congèle, se noircit, se blanchit, se tue, et vivifie soi-même.
J'ai fait peindre leur Champ azuré et bleu pour montrer que je ne fais que commencer à
sortir de la noirceur très-noire. Car l'azuré et bleu est une des premières Couleurs
que nous laisse voir l'obscure Femme, c'est-à-dire l'Humidité cédante un peu à la
chaleur et sécheresse. L'Homme et la Femme sont la plupart orangez. Cela signifie que nos
Corps (ou notre Corps, que les Sages appellent ici Rebis), n'a point encore assez de
digestion, et que l'Humidité dont vient le noir, bleu et azuré, n'est pas demi vaincue
par la sécheresse. Car, quand la sécheresse dominera, tout sera blanc, et la combattant
ou étant égale à l'Humidité, tout est en partie selon ces Couleurs. Les Envieux ont appelé
encore ces Confections en cette Opération, Numus, Ethelia, Arena, Boritis, Corsuste,
Cambar, Albar aeris, Duenech, Randeric, Kukul, Thabitris, Ebisemeth, Ixir, etc.
Ce qu'ils ont commandé de blanchir.
La Femme a un cercle blanc en forme de rouleau à l'entour de son corps, pour te montrer
que Rebis commencera de se blanchir de cette même façon, blanchissant premièrement aux
extrémités tout à l'entour de ce cercle blanc. L'Échelle des Philosophes dit : Le Signe
de la première parfaite blancheur, est quand l'on voit un certain petit cercle
capillaire, c'est-à-dire passant sur la tête, qui apparaîtra à l'entour de la Matière
aux côtés du Vaisseau, en couleur tirant sur l'orangé.
Il y a en leurs Rouleaux, Homo veniet ad Judicium Dei ; c'est-à-dire l'Homme viendra au
Jugement de Dieu. Vere, (dit la Femme) illa dies terribilis eris. C'est-à-dire, certes ce
jour-là sera terrible. Ce ne sont point des passages de la Sainte Écriture mais seulement
des dictons parlants selon le Sens Théologique de la Résurrection future. Je les ai mis
ainsi ; car ils me servent pour celui qui contemple seulement l'artifice grossier et plus
naturel, prenant l'interprétation de la Résurrection. Et servent tout de même à ceux
qui, voulant recueillir les Paraboles de la Science, prennent des yeux de Lyncée pour
pénétrer au delà des Objets visibles. Il y a donc, l'Homme viendra au Jugement de Dieu,
Certes ce jour sera terrible. C'est comme si je disois, il faut que ceci vienne au
Colorement de la perfection, pour être jugé et nettoyé de la noirceur et ordure, et
être spiritualisé et blanchi. Certes ce jour sera terrible. Oui vraiment ; aussi vous
trouverez en l'Allégorie d'Ariléus. L'horreur nous tint en la Prison Par quatre-vingt
jours dans les ténèbres des Ondes, dans l'extrême chaleur de l'Eté, et dans les
troubles de la Mer. Toutes lesquelles choses doivent premièrement passer avant que notre
Roi puisse être blanchi, venant de mort à vie, pour vaincre puis après tous ses
Ennemis.
Pour t'enseigner encore mieux cette albification ou blanchissement, qui est plus
difficile que tout le reste (jusqu'au quel temps tu peux faillir à tous pas ; mais après
non, ou tu casserois les Vaisseaux), je t'ai fait encore ce Tableau suivant.
Quatrième FIGURE
Un homme semblable à saint Paul, vêtu d'une Robe blanche orangée, bordée d'Or, tenant
une Epée nue, ayant à ses pieds un Homme à genoux, vêtu d'une Robe orangée, blanche
et noire, tenant un Rouleau, où il y a Dele mala quae feci, c'est-à-dire : ôte le mal
que j'ai fait.
CHAPITRE VI
Explication de cette Figure.
Regarde bien cet Homme en la forme d'un saint Paul, vêtu d'une Robe entièrement orangée
blanche. Si tu le considères bien, il tourne le corps en posture qui démontre qu'il veut
prendre l'Epée nue, ou pour trancher la tête, ou pour faire quelque autre chose sur cet
Homme qui est à ses pieds à genoux, vêtu d'une Robe orangée, blanche et noire, lequel
dit en son Rouleau : Dele mala quae feci, comme disant : Ôte-moi ma noirceur, terme de
l'Art. Car mal signifie par Allégorie la noirceur ; ainsi en la Turbe on trouve Cuis
jusqu'à la noirceur, qu'on estimera être mal. Mais veux-tu savoir que veut dire cet
Homme qui prend l'épée ? Il signifie qu'il faut couper la tête au Corbeau,
c'est-à-dire à cet Homme vêtu de diverses couleurs, qui est à genoux. J'ai pris ce
trait et figure d'Hermès Trismégiste en son Livre de l'Art secret, où il dit : Ôte la
tête à cet homme noir ; coupe la tête au Corbeau, c'est-à-dire blanchis notre Sable. Lambsprink, Gentilhomme Allemand, s'en étoit déjà servi au Commentaire de ses
Hiéroglyphiques, disant : En ce bois il y a une Bête qui est toute couverte de noirceur
; si quelqu'un lui coupe la tête, alors elle perdra sa noirceur, et vêtira la couleur
très-blanche. Voulez-vous entendre ce que c'est ? La noirceur s'appelle la tête du
Corbeau, laquelle ôtée, à l'instant vient la couleur blanche, alors, c'est-à-dire
quand la nuée n'apparaît plus, ce Corps est appelé sans tête. Ce sont ses propres
mots. En même Sens les Sages ont aussi dit ailleurs, Prend la Vipère, appelée de Rexa,
coupe-lui la tête, c'est-à-dire ôte-lui la noirceur. Ils se sont encore servis de cette
périphrase quand, pour signifier la Multiplication de la Pierre, ils ont feint un Serpent
Hydra auquel, si on coupait une tête, il lui en renaissoit dix. Car la Pierre augmente de
dix à chaque fois qu'on lui coupe cette tête de Corbeau, qu'on la noircit, et blanchit,
c'est-à-dire qu'on la dissout de nouveau, et qu'après on la recoagule.
Regarde que l'épée nue est entortillée d'une Ceinture noire, et que les bouts d'icelle
ne l'environnent pas tout à fait. Cette épée nue, resplendissante, est la Pierre au
blanc, si souvent décrite dans les Philosophes sous cette forme. Pour donc parvenir à
cette parfaite blancheur étincelante, il te faut entendre les entortillements de cette
Ceinture noire, et ensuivre ce qu'ils enseignent, qui est la quantité des Imbibitions.
Les deux bouts qui ne l'entortillent pas tout à fait représentent le commencement de la
fin. Pour le commencement, il enseigne qu'il faut imbiber en ce premier temps doucement et
avec épargne, donnant alors à la Pierre peu de lait, comme à un petit enfant naissant,
afin que l'Ixir (disent les auteurs) ne le submerge. Le même faut-il faire à la fin,
quand nous voyons que notre Roi est saoul, et n'en veut plus. Le milieu de ces Opérations
est peint par les cinq entortillements entiers de la Ceinture noire, auquel temps (parce
que notre Salamandre vit du feu, et au milieu du feu, voire même est un feu, et un Argent
vif, courant au milieu du feu, ne craignant rien) il lui en faut donner abondamment, de
telle façon que le lait virginal entoure toute la Matière.
J'ai fait peindre noirs ces entouremens de la Ceinture, parce que ce sont des Imbibitions,
et par conséquent des Noirceurs. Car le Feu avec l'Humide (comme il est tant de fois dit)
cause la noirceur. Et comme ces cinq entoure-mens entiers démontrent qu'il faut faire
cela cinq fois entièrement, tout de même ils font connoître qu'il faut faire cela cinq
mois entiers, un mois à chaque Imbibition. Voilà pourquoi Hali Abenragel a dit : La
cuisson des choses se parfait en trois fois cinquante jours. Il est vrai que si tu veux
compter ces petites Imbibitions du commencement et de la fin, il y en a sept. Sur quoi un
des plus Envieux a dit : Notre tête de Corbeau est lépreuse ; c'est pourquoi qui la
voudra nettoyer, il doit faire descendre sept fois au fleuve de régénération au Jordain,
ainsi que commande le Prophète au Lépreux Naaman Syrien. Comprenant en cela le
commencement qui n'est que de quelques jours, le milieu, et la fin, qui est aussi fort
courte.
Je t'ai donc donné ce Tableau pour te dire, qu'il te faut blanchir mon Corps qui est à
genoux, lequel ne demande autre chose. Car la Nature tend toujours à perfection. Ce que
tu accompliras par l'apposition du lait Virginal, et par la décoction que tu feras des
Matières avec ce lait qui, se séchant sur ce Corps, le teindra en même blanc orangé,
dont est vétu celui qui prend l'épée, en laquelle couleur il te faut faire venir ton
Corsuflet.
Les vêtements de la figure de saint Paul sont bordés largement de couleur dorée, et
rouge orangée. O mon fils, loue DIEU si tu vois jamais cela. Car déjà tu as obtenu
miséricorde du Ciel, Imbibe donc et teins jusqu'à ce que le petit Enfant soit fort et
robuste, pour combattre contre l'eau et le feu. Accomplissant cela, tu feras ce que
Démagoras, Senior et Hali ont appelé : Mettre la Mère au ventre de l'Enfant qu'elle
avoit déjà enfanté. Car ils appellent Mère le Mercure des Philosophes, duquel ils ont
les Imbibitions et fermentations, et l'Enfant, le corps qu'on doit teindre, duquel est
sorti ce Mercure. Je t'ai donné donc ces deux Figures pour signifier l'albification ou
blanchissement ; aussi c'est en ce lieu que tu avois besoin de grande aide, car tout le
monde y a choppé. Cette Opération est vraiment un Labyrinthe, parce qu'ici se
présentent mille voyes à même instant, outre qu'il faut procéder à la fin d'icelle,
justement tout au rebours du commencement, en coagulant ce qu'auparavant tu dissolvoie et faisant Tene ce qu'auparavant tu faisois Eau.
Quant tu auras blanchi, tu as vaincu les Taureaux enchantés, qui jettoient feu et fumée
par les narines. Hercule a nettoyé l'Étable pleine d'ordure, de pourriture et de
noirceur. Jason a versé le jus sur les Dragons de Coichos, et tu as en ta puissance la
Corne d'Amalthée, qui (encore qu'elle ne soit que blanche) peut combler tout le reste de
ta vie, de gloire, d'honneur, et de richesse. Pour l'avoir il t'a fallu combattre
vaillamment, et comme un Hercule. Car cet Achélous, ce Fleuve humide (qui est la
noirceur) est doué d'une force très-puissante, outre qu'il se change souvent d'une forme
en une autre : aussi as-tu parachevé, parce que le reste est sans difficulté. Ces
transfigurations ou changements sont décrits particulièrement au Livre des sept Seaux Égyptiens, où il est dit (comme aussi par tous les Auteurs) qu'avant que quitter
entièrement la noirceur, et se blanchir en la façon d'un marbre très-reluisant et d'une
épée nue flamboyante, la Pierre se vêtira de toutes les couleurs que tu sçauras
imaginer. Souvent elle se liquéfiera elle-même, et souvent se coagulera encore, et parmi
ces diverses et contraires opérations (que l'Ame végétative qui est en elle lui fait
parfaire en un même temps) elle deviendra orangée, verte, rouge (non pas d'un rouge
parfait) et jaune, deviendra bleue, et orangée, jusqu'à ce qu'étant entièrement
vaincue par la sécheresse et la chaleur, toutes ces infinies couleurs finissent en cette
blancheur orangée admirable du vêtement de saint Paul, laquelle, en peu de temps,
viendra comme celle de l'épée nue. Puis, par plus forte et longue décoction, prendra
enfin le rouge orangé, et puis le parfait rouge de Laque, où elle se reposera
désormais. Je ne veux pas oublier, en passant, de t'avertir que le lait de la Lune n'est
pas comme le lait Virginal du Soleil. Pense donc que les Imbibitions de la blancheur
demandent un lait plus blanc que celles de la rougeur et couleur d'Or. Car en ce pas j'ai
pensé faillir, et l'eusse fait sans Abraham Juif. Pour cette raison je t'ai fait peindre
la Figure qui prend l'épée nue en la couleur qui t'est nécessaire : aussi c'est cette
Figure qui blanchit.
CINQUIÈME FIGURE
Sur un Champ vert, deux Hommes et une Femme, qui ressuscitent entièrement blancs, deux
Anges au-dessus, et sur les Anges la Figure du Sauveur venant juger le Monde, vêtu d'une
Robe parfaitement orangée blanche.
CHAPITRE VII
Explication de cette Figure.
J'ai fait peindre ainsi un Champ vert, parce qu'en cette Décoction les Confections se
font vertes, et gardent plus longtemps cette odeur que toute autre après la noire. Cette
verdeur marque particulièrement que notre Pierre a une Ame végétative, et qu'elle s'est
convertie, par l'industrie de l'Art, en vrai et pur germe, pour germer abondamment et
produire puis après de rameaux infinis. O bienheureuse verdeur, dit le Rosaire, qui
produit toutes choses : sans toi rien ne peut croître, végéter, ni multiplier. Les
trois qui ressuscitent vêtus de blanc étincelant représentent Je Corps, l'Ame et
l'Esprit de notre Pierre blanche. Les Philosophes usent ordinairement de ces termes de
l'Art, pour cacher le Secret aux Méchants. Ils appellent Corps, la terre noire, obscure
et ténébreuse, que nous blanchissons. Ils appellent Ame l'autre moitié divisée du
Corps, qui, par la volonté de DIEU et la puissance de la Nature, donne au Corps, par ses
imbibitions et fermentations, l'Ame végétative ; c'est-à-dire la puissance et vertu de
pulluler, croître, multiplier, et de se rendre blanc comme une épée nue reluisante. Ils
appellent Esprit la teinture et siccité, qui, comme un esprit, a vertu de pénétrer
toutes choses métalliques.
Je serois trop long si je te voulais montrer ici par combien de raisons ils ont dit par
tout : Noire Pierre a, comme l'Homme, Corps, Ame et Esprit. Je veux seulement que tu
remarques bien que, comme l'Homme doué de corps, Ame, et Esprit, n'est toutefois qu'un,
qu'aussi tu n'as maintenant qu'une seule Confection blanche, en laquelle toutefois sont le
Corps, l'Ame et l'Esprit, qui sont unis inséparablement. Je te pourrois bien donner de
très-claires comparaisons et explications de ce Corps, Ame et Esprit ; mais pour les
expliquer, il faudroit dire des choses que Dieu se réserve de révéler à ceux qui le
craignent et qui l'aiment, et qui par conséquent ne se doivent pas écrire.
Je t'ai donc fait ici peindre un Corps, une Ame et un Esprit tous blancs, comme s'ils
ressuscitoient, pour te montrer que le Soleil, la Lune et Mercure, sont ressuscités en
cette Opération, c'est-à-dire sont faits Élément de l'Air et blanchis : car nous avons
déjà appelé la Noirceur Mort ; continuant la Métaphore, nous pouvons donc appeler la
Blancheur une vie, qui ne revient qu'avec et par la résurrection, Le Corps, (pour te le
montrer plus clairement), je l'ai fait peindre, levant la pierre d. son tombeau, dans
lequel il étoit enfermé. L'Ame, parce qu'elle ne peut être mise en terre, elle ne sort
pas d'un tombeau, mais seulement je la fais peindre parmi les tombeaux, cherchant son
Corps en forme de Femme ayant les cheveux épars. L'Esprit, qui ne peut être aussi mis en
sépulture, je l'ai fait peindre en Homme sortant de terre, non pas de la tombe. Ils sont
tous blancs ; aussi la Noirceur, qui est la Mort, est vaincue, et eux étant blanchis sont
désormais incorruptibles.
Lève maintenant les yeux en haut, et vois venir notre Roi couronné et ressuscité, qui a
vaincu la Mort, les obscurités et humidités. Le voilà en la forme que viendra le
Sauveur, lequel unira à soi éternellement toutes les Âmes pures et nettes, et chassera
tout l'impur et immonde comme étant indigne de s'unir à son divin Corps. Ainsi, par
comparaison (demandant toutefois permission de parler ainsi à Église Catholique,
Apostolique et Romaine, et priant toute Ame débonnaire de me le permettre par
similitude), voici notre Elixir blanc, qui dorénavant unira à soi inséparablement toute
Nature pure métallique, la transmuant en sa nature argentée et très-fine, rejetant
l'impureté étrangère et hétérogène. Loué soit Dieu, qui nous fait la grâce, par sa
grande bonté, de pouvoir considérer ce Blanc étincelant, plus parfait et reluisant
qu'aucune nature composée, et plus noble, après l'Ame immortelle, qu'aucune autre
Substance animée ou inanimée ; aussi est-elle une Quintessence, un Argent très-pur,
passé par la Coupelle et affiné sept fois, dit le Royal Prophète David.
Il n'est pas nécessaire d'interpréter ce que signifient les deux Anges jouant des Instruments
sur la tête des Ressuscités ; ce sont plutôt des Esprits Divins, chantant
les merveilles de Dieu en cette Opération miraculeuse, que des Anges nous appelant au
Jugement. Tout exprès pour en faire différence, j'ai donné un Luth à l'un et à
l'autre une Musette, non pas des Trompettes, qu'on leur donne toujours pour appeler au
Jugement. Le même faut-il dire des trois Anges qui sont sur la tête de Notre-Sauveur,
dont l'un le couronne, et les autres deux disent en leurs Rouleaux, en lui assistant, O
Pater omnipotents ! O Jesu bone ! c'est-à-dire, O Père Tout-puissant ! ô bon Jésus ! en
lui rendant des grâces éternelles.
SIXIÈME FIGURE
Sur un Champ violet et bleu, deux Anges de couleur orangée, et leurs Rouleaux.
CHAPITRE VIII
Explication de cette Figure.
Ce champ violet et bleu montre que, voulant passer de la Pierre blanche à la rouge, tu
l'as imbibée d'un peu de Lait Virginal Solaire, et que ces Couleurs sont sorties de
l'Humidité Mercurielle que tu as séchée sur la Pierre. En cette Opération du
Rubisiement, encore que tu imbibes, tu n'auras guère de noir, mais bien du violet, bleu,
et de la couleur de la queue du Paon : car notre Pierre est si triomphante en siccité
qu'incontinent que ton Mercure la touche, la Nature, s'éjouissant de sa nature, se joint
à elle et la boit avidement ; et partant le Noir qui vient de l'Humidité ne se peut
montrer qu'un peu sous ces Couleurs violettes et bleues, autant que la siccité (comme il
est dit) gouverne maintenant absolument.
Je t'ai fait peindre ces deux Anges avec des ailes, pour te représenter que les deux
Substances de tes Confections, la Mercurielle et sulfureuse, la fixe aussi bien que la
Volatile, étant fixées ensemble dans ton Vaisseau. Car en cette Opération le Corps fixe
montera doucement au Ciel, tout spirituel ; et de là, il descendra en la Terre, et là
où tu voudras, suivant par tout l'Esprit qui se meut toujours sur le feu. D'autant qu'ils
sont faits d'une même Nature et le Composé est tout Spirituel, et le Spirituel tout
Corporel, tant il a été subtilisé sur notre marbre par les Opérations précédentes.
Les Natures donc sont ici transmuées et changées en Anges ; c'est-à-dire, sont faites
spirituelles et très-subtiles, aussi sont-elles maintenant de vraies Teintures.
Or souviens-toi de commencer la Rubification par l'apposition du Mercure orangé rouge ;
mais il n'en faut guère verser, et seulement une ou deux fois, selon que tu verras. Car
cette Opération se doit parfaire par feu sec, Sublimation et Calcina/ion sèche. Et
vraiment je te dis ici un secret que tu trouveras bien rarement écrit. Aussi je ne suis
point Envieux, et plût à Dieu que chacun sçût faire de l'Or à sa volonté, afin que
l'on vécût menant paître ses gras Troupeaux, sans usure ni procès, à l'imitation des
Saints Patriarches, usant seulement, comme les premiers Pères, de permutation de chose à
chose, pour laquelle avoir il faudroit travailler aussi bien que maintenant. De peur
toutefois d'offenser Dieu, et d'être l'instrument d'un tel changement, qui peut-être
seroit mauvais, je n'ai garde de représenter ou écrire où est-ce que nous cachons les
Clefs qui peuvent ouvrir toutes les portes des Secrets de la Nature, et renverser la Terre
sens dessus dessous, me contentant de montrer des choses qui l'enseigneront à toute
Personne à qui Dieu aura permis de connoître quelle propriété a le signe des Balances,
quand il est éclairé du Soleil et de Mercure au mois d'Octobre.
Ces Anges sont peints de couleur orangée afin de te faire savoir que tes Confections
blanches ont été un peu plus cuites, et que le noir du violet et bleu a été déjà
chassé par le feu. Car cette couleur orangée est composée de ce bel orangé rouge doré
(que tu attens il y a si longtemps) et du reste de ce violet et bleu que tu as déjà en
partie défait. Cet orangé démontre encore que les Natures se digèrent et peu à peu se
parfont par la grâce de Dieu.
Quant à leur Rouleau qui dit : Surgite Mor-tui veeite ad Judicium Domini mei :
c'est-à-dire, Levez-vous Morts, venez au Jugement de Dieu mon Seigneur, je l'ai plutôt
fait mettre pour le seul Sens Théologique que pour l'autre. Il finit Hans la gueule d'un
Lion tout rouge, c'est pour montrer qu'il ne faut point discontinuer cette Opération
qu'on ne voye le vrai rouge de Pourpre, semblable du tout au Pavot champêtre et à la
Laque du Lion pur, si ce n'est pour multiplier.
SEPTIÈME FIGURE
Un Homme semblable à saint Pierre, vêtu d'une Robe orangée rouge, tenant une Clef en la
main droite, et mettant la gauche sur une Femme vêtue d'une Robe orangée, qui est à ses
pieds à genoux, tenant un Rouleau, où est écrit Christe Precor, esto pius. Je vous
prie, ô Christ, soyez-moi miséricordieux.
CHAPITRE IX
Explication de cette figure.
Regarde cette Femme vêtue de Robe orangée, qui ressemble au naturel à Perrenelle comme
elle étoit en son adolescence. Elle est peinte en façon de Suppliante, à genoux, les
mains jointes, aux pieds d'un Homme, qui a une Clef en sa main droite, qui l'écoute
gracieusement, et puis étend la main gauche sur elle. Veux-tu savoir ce que représente
cela ? C'est la Pierre, qui demande en cette Opération deux choses au Mercure Solaire des
Philosophes (dépeint sous la forme de l'Homme), c'est à savoir la Multiplication, et
un habit plus riche. Ce qu'elle doit obtenir en ce temps ici. Aussi l'Homme, lui mettant
ainsi la main sur l'épaule, le lui accorde.
Mais pourquoi as-tu fait peindre une Femme ? Je pouvois aussi bien faire peindre un Homme
ou un Ange qu'une Femme : (car les Natures sont maintenant toutes spirituelles et
corporelles, masculines et féminines) mais j'ai mieux aimé te faire peindre une femme,
afin que tu juges qu'elle demande plutôt la Multiplication que toute autre chose ; parce
que ce sont les plus naturels et plus propres désirs de la Femelle.
Pour te montrer encore plus qu'elle demande la Multiplication, j'ai fait peindre l'Homme
auquel elle fait la prière, en la forme d'un Saint Pierre, tenant une Clef, ayant
puissance d'ouvrir et fermer, de lier et délier. D'autant que les Philosophes envieux
n'ont jamais parlé de la Multiplication que sous ces communs termes de l'Art. Ouvre,
ferme, lie, délie. Ils ont appelé ouvrir et délier faire le Corps (qui est toujours dur
et fixe) mol, fluide, et coulant comme l'eau, et fermer ou lier le coaguler par après par
décoction plus forte, en le remettant encore une autre fois en la forme de Corps.
Il me falloit donc représenter un Homme avec une clef, pour t'enseigner qu'il te faut
maintenant ouvrir et fermer, c'est-à-dire multiplier les Natures germantes et
croissantes. Car tout autant de fois que tu dissoudras et fixeras, autant de fois ces
Natures multiplieront en quantité, qualité et vertu, selon la Multiplication de dix, de
ce nombre venant à cent, de cent à mille, de mille à dix mille, de dix mille à cent
mille, de cent mille à un million ; et de là par même Opération jusqu'à l'infini,
ainsi que j'ai fait trois fois, dont je loue Dieu. Et quand ton Elixir est ainsi conduit à
l'infini, un grain d'icelui tombant sur une quantité métallique fondue aussi profonde et
vaste que l'Océan, il le teindra et convertira en très parfait Métal, c'est-à-dire en
Argent ou en Or, selon qu'il aura été imbibé et fermenté, chassant et éloignant de
soi toute la matière impure et étrangère, qui s'étoit jointe en sa première
Coagulation.
Par la même raison que j'ai fait peindre une Clef à l'Homme, qui est sous la forme d'un
Saint Pierre, pour signifier que la Pierre demandoit d'être ouverte et fermée pour
multiplier, par même raison aussi, pour te montrer avec quel Mercure tu dois faire cela,
j'ai donné à l'Homme un habit orangé rouge, et un orangé à la Femme.
Cela ne suffise pour ne sortir du silence de Pythagoras, et pour t'enseigner que la Femme,
c'est-à-dire notre Pierre, demande d'avoir la riche parure et couleur de Saint Pierre.
Elle a écrit en son Rouleau Christo precor esto pius : Jésus-Christ soyez-moi doux,
comme si elle disoit : Seigneur soyez-moi doux, et ne permettez pas que celui qui sera
parvenu jusqu'ici gâte tout par trop de feu. Il est bien vrai que dorénavant je ne
craindrai plus les Ennemis, et que tout feu me sera égal : toutefois, le Vaisseau qui me
contient est toujours fragile. Car si l'on augmente trop le feu, il crèvera, et s'éclatant
m'emportera et me sèmera malheureusement parmi les cendres.
Prends donc garde à ton feu en ce pas, régissant et gouvernant doucement en patience
cette Quintessence admirable, car il lui faut augmenter son feu, mais non par trop. Et
prie la souveraine bonté qu'elle ne permette point que les malins Esprits qui gardent les
Mines et les trésors, détruisent ton Opération ou fascinent ta vue, quand tu
considères ces incompréhensibles mouvements de cette Quintessence dans ton Vaisseau.
HUITIÈME FIGURE
Sur un Champ violet obscur, un Homme rouge de pourpre, tenant le pied d'un Lion rouge de
Laque, qui a des ailes, et semble ravir et emporter l'Homme.
CHAPITRE X.
Explication de cette Figure.
Ce Champ violet et obscur représente que la Pierre a obtenu, par l'entière Décoction,
les beaux vêtements entièrement orangés et rouges qu'elle demandoit à Saint Pierre,
qui en étoit vêtu, et que la complète et parfaite digestion (signifiée par l'entière
couleur orangée) lui a fait laisser sa vieille Robe orangée. La couleur rouge de Laque
de ce Lion volant, semblable à ce pur Escarlatin du grain de la vrayement rouge Grenade,
démontre qu'elle est maintenant accomplie en toute droiture et égalité. Qu'elle est
comme un Lion, dévorant toute Nature pure Métallique, et la changeant en sa vraie
Substance, en vrai et pur Or plus fin que celui des meilleures Mines.
Aussi elle emporte maintenant l'Homme hors de cette vallée de misères, c'est-à-dire
hors des incommodités de la pauvreté et infirmité, et avec ses ailes le soulève
glorieusement hors des croupissantes eaux d'Egypte (qui sont les pensées ordinaires des
Mortels) et, lui faisant mépriser la vie et les richesses présentes, le fait nuit et
jour méditer en DIEU et les Saints, souhaiter le Ciel Empirée, et boire les douces
sources des Fontaines de l'espérance éternelle.
Loué soit Dieu éternellement, qui nous a fait la grâce de voir cette belle et toute
parfaite Couleur de Pourpre, cette belle Couleur du Pavot champêtre du Rocher, cette
Couleur Tyriene étincelante et flamboyante, qui est incapable de changement et
d'altération : sur laquelle le Ciel même et son Zodiaque ne peut plus avoir domination
ni puissance, dont l'éclat rayonnant et éblouissant semble en quelque façon communiquer
à l'Homme quelque chose de surcéleste, le faisant (quand il la contemple et connoît)
étonner, trembler, et frémir en même temps
O Seigneur, faites-nous la grâce que nous en puissions bien user à l'augmentation de la
Foi, au profit de notre Ame, et accroissement de la gloire de ce noble Royaume. Ainsi
soit-il.
FIN