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TRAITÉ DU SECRET DE L'ART PHILOSOPHIQUE OU L'ARCHE OUVERTE AUTREMENT DIT
LA CASSETTE DU PETIT PAYSAN
1617
PREMIÈRE PARTIE
Nous avons ici en Allemagne un commun et vieux proverbe, après
beaucoup de pleurs grande joie, après la pluie le beau temps ; il en est tout au
contraire, ça a été à mon grand regret depuis peu d'années, mon sort fatal ; la
même chose est arrivée quelquefois à d'autres, qui ont commencé l'Ouvrage sans
un fondement véritable, comme je le montrerai tout au long ; car pensant tenir
en mes mains tout le monde, je n'eus rien moins que cela, d'autant que mon
vaisseau de verre sur lequel j'avais appuyé tout mon bonheur, vint à se casser
avec grand bruit et toute la matière rejaillit sur mes minutes de Philosophie,
qui en furent gâtées et salies, ce qui me causa beaucoup de perte, mais je passe
cela sous silence ; je dis seulement que je fus fort surpris d'étonnement par ce
désastre inopiné, que je ne savais où j'en étais, ni ce que je faisais, tant
j'étais devenu triste et affligé ; car toute ma joie et mon espérance s'étaient
tournés en venin et non pas en l'Or et en l'Argent que j'attendais.
Étant donc un peu revenu et rentré en moi-même, et ayant considéré attentivement
la grande perte que j'avais faite, et l'incommodité que je recevais de cet
accident ; je commençai à deux genoux, les larmes aux yeux, et d'un coeur
gémissant, de représenter mon malheur à celui qui de toute éternité voit toutes
choses ; car Dieu donne et ôte à qui lui plaît. Je lui fis une instante prière,
afin qu'il eût pitié de moi, en m'inspirant la vraie voie pour arriver devant sa
Divine Majesté par l'esprit de vérité et de ; ce qui me donna aussi de la
consolation, fut ce que dit Zachaire, que beaucoup de Philosophes ont failli au
commencement qui néanmoins sont enfin parvenus au bout de leur Ouvrage. Comme
donc j'étais presque accablé de diverses pensées pour le fâcheux accident qui
m'était arrivé sur la rupture de mon vaisseau, il me vint en pensée une question
qui tourmentait mon esprit, savoir si le Tout Puissant voudrait bien permettre
que nous autres pauvres pécheurs (venant en ce siècle si pervers et corrompu)
puissions parvenir à la connaissance d'un si grand Secret, comme est la Pierre
des Philosophes.
Après ces inquiétudes et mouvements, je pris enfin la résolution de ne plus
m'inquiéter l'esprit, considérant que tous ceux qui nous ont précédé, et qui ont
atteint à la parfaite connaissance de ce saint mystère, ne laissaient pas d'être
pécheurs comme nous, et que ce don de Dieu ne se révèle pas à cause d'aucun
mérite qui soit en l'homme ; mais c'est une grâce particulière de Dieu, puisque
nous ne sommes que très inutiles et pleins d'erreur. Cette considération me fit
prendre une ferme résolution de me convertir à Dieu, et de n'avoir plus que son
honneur pour but, et le secours du prochain pour toutes mes entreprises. Étant
en cette ferme volonté, je sentis une sainte extase et certaines émotions qui me
donnèrent de la clarté parmi mes précédentes afflictions ; et me relevant de ma
prière, je me trouvai incité à reprendre en mains mes Philosophes.
Mais il me sembla que je devais surtout préférer le Comte de Trévisan, lequel,
quoique auparavant j'eusse bien feuilleté, je n'y découvrais rien néanmoins qui
me donnât un fondement assuré, mais après cette illumination, comme je fus à
l'endroit, où l'Auteur traite de la première matière, je me sentis
intérieurement éclairé, reconnaissant en quoi consiste vraiment la vertu et
puissance de l'oeuvre, et d'abord je tressaillis de joie, mais examinant
continuellement cette science, je trouvai mon entendement tout à fait ouvert, où
auparavant il avait été clos et resserré, et quoique avec tant d'étendue et de
soins, je me fusse ci-devant occupé en beaucoup d'opérations, elles avaient
toutefois été faites en vain, car j'étais mal fondé. Partout je louai Dieu, et
invoquai avec joie son saint Nom ; je continuai à le prier humblement qu'il me
donnât la perfection de ces bons et solides commencements, qui n'avaient en moi
autre fin que sa gloire et mon salut
A l'instant je
continuai à bien comprendre cette matière, afin que je ne me méprisse plus par
les apparences, mais que je misse le doigt sur celle qui se peut dire et nommer
matière prochaine et non éloignée ; car celle-là est plus riche et fertile que
celle-ci, quoiqu'elles tendent toutes deux à même but, selon le bon Riplée, en
ses axiomes des, et selon Flamel, fol. 120 Item fol. 180, ou 150, où il dit que
c'est surtout un très grand secret de pouvoir connaître de quelle chose minérale
on doit prochainement faire l'oeuvre.
Or comme j'étais allé faire un voyage, je me trouvai entre deux montagnes, où
j'admirai un homme des champs, grave et modeste en son maintien, vêtu d'un
manteau gris, sur son chapeau un cordon noir, autour de lui une écharpe blanche
ceint d'une courroie jaune, et botté de bottes rouges, lequel je saluai. M'étant
approché, j'aperçus qu'il tenait en ses mains deux fleurs très éclatantes et
étoilées à sept rayons ; l'une de ces fleurs était blanche, et l'autre rouge. Je
les considérai bien, parce qu'elles étaient très belles, brillantes et de très
belles couleurs, fort odoriférantes et agréables au goût ; de plus, l'une tenait
du féminin et l'autre du masculin, croissant néanmoins toutes deux d'une même
racine et de l'influence de toutes les Planètes. Je demandai à cet homme quel
était son dessein sur ces deux fleurs, car j'en avais assez bonne connaissance,
mais non pas qu'il y eût en elles une intention distincte, ni qu'elles fussent
mâle et femelle, c'est-à-dire de deux différentes natures. Lors, m'envisageant
fixement, il me demanda qui m'avait adressé en ce lieu inhabité ; qu'il était,
dit-il, recherché des plus grands de ce monde, mais rempli de beaucoup de
périls, et presque inaccessible. Comme je lui eus dépeint le cours de ma vie,
mes aventures et emplois, il se sourit, n'en tenant pas grand compte ; il me
traita toutefois fort civilement, commençant à me tenir ce discours :
« Tu sauras que qui que ce
soit n'arrive à la connaissance de ces deux fleurs, qu'il ne soit appelé de
Dieu, guidé par la foi et par invocation ; encore lui arrive-t-il en ses
recherches de grandes peines, ennuis et afflictions, afin que cette haute
science lui soit à grande vénération lorsqu'il la possédera comme un trésor cher
acheté. »
« Mais puisque tu es
parvenu jusqu'en ces lieux, tu verras que Dieu m'autorise à te dire, que de ces
deux fleurs provient (après leur conjonction, et non point plus tôt) la première
matière de tous les Métaux, ce qui t'est confirmé par Trévisan sur la fin de sa
seconde partie, où il nomme ces deux fleurs, homme rouge et femme blanche ; mais
les Philosophes, pour beaucoup de raisons, ont dit plusieurs choses sur le sujet
de cette première matière, pour la couvrir elle et sa racine comme d'un voile,
et ils se sont aussi bien gardés de découvrir la seconde matière : quoiqu'il
faille premièrement que tu traites cette seconde matière, qui est crue et
indigeste, et qui est toutefois le sujet de la Pierre, il faut que tu la tires
comme de l'homme et de la femme, qui après la conjonction devient la matière
première que je te déclare ici avec sincérité.
»
Je m'étonnais de ce discours, qui pourtant me donnait de la joie pour le
contentement où je me trouvais d'être avec lui ; sur ces choses, je ne pus me
tenir de lui dire : Ami, ta simplicité m'eût bien empêché de chercher en toi des
choses de si haute intelligence ; il se mit à sourire et me dit : C'est en
vérité cette simplicité qui met tout le monde en erreur, et qui fait que je suis
négligé d'un chacun ; car ma forme extérieure les trompe tous, voyant ma
bassesse, et ce qui semble vil en moi ; mais lorsqu'ils me prient courtoisement
de quitter ma jaquette grise et mon manteau de bure, je les exauce, et leur fais
voir là-dessous un habillement diamantin, et une fourrure de rubis, ou si tu
veux, une chemise très précieuse ; mais le Tout Puissant les a presque tous
aveuglés, afin qu'ils ne voient de quoi ces Métaux ont pris leur origine. Je lui
répartis, cher Ami, habitant des champs, ces fleurs ont un lustre et éclat très
hauts, mais pourtant elles ont aussi propriété de Médecine. Il répondit, elles
sont bien médicinales, mais leur plus grande propriété est cachée en elles, car
lorsqu'elles sont sur leur propre racine, elles sont vénéneuses: c'est pourquoi
il faut que leur racine soit bénignement et délicatement sublimée avec soin,
comme je veux croire que tu sais ; ce que je juge par tes ; quoiqu'elles t'aient
mal réussi jusqu'à présent, je ne révoque point en doute que tu ne comprennes
bien ce que veut dire ici cette sublimation, laquelle se fait sans qu'il y entre
jamais rien de mordicant ni corrosif, qui détruirait la bonté de sa nature : et
c'est de là que prennent leur naissance ces deux belles fleurs, sans addition
d'autres choses, étrangères et différentes, tirées de cette montagne contagieuse
; et si je n'eusse su sous quelles Planètes l'on constelle les hommes des
champs, je ne serais jamais arrivé, ni pu me rendre à ce lieu si remarquable
Je lui dis, cher Ami, tes discours m'engagent à te supplier encore de me dire,
si ces deux fleurs prennent naissance et croissent toutes deux à la fois, et ce
qui est de leur production ; car je me propose qu'en cet éclaircissement sont
révélés de grands secours de la science : je tiens à honneur et grand avantage
d'en être éclairci, parce que les Philosophes en ont très peu parlé. A cela, au
lieu de sourire, il fit quelques branlements de tête, et se tint en silence
assez longtemps ; puis il me dit, tu me demandes la pierre d'achoppement, où
plusieurs trébuchent ; car beaucoup connaissent la première matière, mais ils
errent au fait de cette ; pourtant, sois ici demain de retour à cette même heure
(vingt-quatre heures après), tu m'y trouveras disposé à te donner intelligence
de ces choses, tout autant qu'il m'est permis. Je le remerciai, me séparai
joyeux et restai tout ce temps en grande inquiétude de l'heure à venir, que
j'observai ponctuellement.
Je le vis donc arriver, tenant les deux fleurs en sa main, et le sommai de tenir
sa favorable promesse, le suppliant de croire que je lui étais absolument
acquis, quoique je reconnusse bien lui être fort inutile. A quoi il me dit ces
mots : pourvu que tu sois bien à Dieu, je serai bien à toi, et toi à moi ; sinon
je serai toujours éloigné de toi, si tu es éloigné de Dieu ; mais d'autant que
je crois que tu es à Dieu, je te découvre ici tout le procédé, et te répéterai
mes premières paroles, sur chacune desquelles tu dois avoir une particulière
attention, avec prières continuelles à Dieu. Cette Science est un don spécial de
la bonté suprême ; prends donc bien garde à toutes mes dites paroles, et examine
les très exactement. Assis-toi avec moi sur cette verdure, car je suis vieux et
d'un naturel froid, je n'ai pas de bonnes jambes, ni bien robustes, c'est
pourquoi je ne puis pas me tenir longtemps debout, et de plus je me plais fort à
me reposer sur la verdure.
Tu as sans doute lu que nos Mages, Philosophes et Rois, écrivent et disent à
tous, suivez la Nature, suivez la Nature ; et c'est de là que tu dois inférer
que tous ceux qui veulent produire quelque chose d'avantageux et de grand en
cette Science, doivent surtout avoir entière connaissance de l'origine et
fondement de tous les Métaux, de leur naissance, production et différence, de
leur sympathie et antipathie, c'est-à-dire amour et haine.
Sache de plus, que tous les Métaux sont provenus d'une même racine, la matière
dont ils prennent leur origine n'étant qu'une et unique, et ils n'acquièrent
leur différence que par la cuisson, c'est-à-dire, selon qu'ils sont plus ou
moins cuits ou digérés. Les bons Auteurs te confirment cette vérité ; mais ne te
dégoûte point de leurs différentes façons ; fuis seulement les donneurs de
recettes et de procédés particuliers ; sois donc infatigable à lire les bons
Auteurs, et le retardement récompensera ta patience et ta peine.
Mais sache en peu de mots, que celui qui comprendra bien l'origine de nos
Métaux, connaîtra que la matière des nôtres doit être métallique, née aussi de
minière métallique sans métal ; car il n'y a point de métal sans lumières
métalliques, ni aussi de lumières métalliques sans métal ; et ainsi
conséquemment l'un se rapporte à l'autre ; car leur être naturel et leur genre
est un, qui se nomme électre minéral -magique non mûr, ou magnésie, ou autrement
lunaire ; et de là vient que les Philosophes parlent toujours au pluriel quand
ils disent, par exemple, nos métaux.
Mais il faut que je t'en entretienne plus clairement, puisque tu as la véritable
connaissance de la vraie matière, dont cette racine métallique doit être
doucement séparée de ce qui lui est contraire, ou contre nature ; je veux dire
de ce qu'elle a acquis accidentellement des vapeurs vénéneuses.
Puis il faut en extraire cette blanche et mercurielle liqueur, qui est si
délicate et fluide, laquelle il faut rechercher dans sa partie supérieure ; et
son nom est Azoth, ou glu de l'aigle; mais sa liqueur fixe sulfurée, rouge et
incombustible, se doit chercher dans la partie inférieure la plus occulte, et
s'appelle laiton, ou lion rouge ; à bon entendeur suffit. Mais s'il te manque
quelque lumière, invoque le Nom du Seigneur des lumières, et l'Auteur de toute
bonne donation ; et remarque surtout avec admiration que ces deux fleurs jamais
ne se sèchent ni se flétrissent, que l'une se peut convertir en l'autre en
toutes formes et figures, et qu'elle a de la pente et de l'inclination à toutes
les sept Planètes, auxquelles si une fois elle se joint, elle ne s'en sépare
plus : la vertu naturelle et la propriété de ces fleurs ne se peut assez
doctement décrire par quelque Philosophe que ce soit.
Tu vois maintenant que ces deux fleurs proviennent d'une même tige, qui est
septuple et susceptible de toutes couleurs; mais icelles fleurs sont assez
éloignées l'une de l'autre, ce qui provient de leurs différentes natures, et
partant il faut trouver le moyen de les joindre et unir, de les faire végéter et
croître ; il faut que de ces deux se procrée un fruit excellent, indissoluble et
perpétuel, ce qui n'arrive pas sans l'expresse permission du Souverain.
Au surplus, sache que le compte, où le nombre de la semence ou germe du lys
blanc est différent de celle du lys rouge, et que ces deux fleurs n'opèrent pas
en même temps ; ce que les anciens Sages ont tenu fort clos et couvert, et c'est
ce qu'ils nomment leurs poids sans poids : ces deux lys ne s'unissent pas et ne
se mêlent par menues parties. Les Anciens parmi les Arabes parlant de ces
choses en ces termes, disent que le poids du mâle est singulier, et celui de la
femelle est toujours pluriel; ce qu'expose le Comte de Trévisan en cette sorte :
La puissance terrienne sur son résistant selon la résistance différée, c'est
l'action de l'agent en cette matière; entends-tu cela ? Je répondis que ces
termes sont obscurs ; à quoi il me répliqua que je ne m'en misse point en peine
; car, dit-il, si tu arrives à l'accroissement de ces deux fleurs de lys, lors
tu connaîtras par leur propre essence propriété et nature, ce que tu auras à
faire et non autrement ; je te donne avis d'avoir grand soin que la chaleur de
ton feu soit lente et bénigne ; car autrement la semence du lys blanc
s'évaporerait en fumée, et tout ton travail serait réduit au néant. Puis je lui
dis, tu as fait mention de deux lys, et toutefois les Philosophes disent
quelquefois qu'en une seule chose, ou un seul Mercure et Azoth, consiste tout ce
que cherchent les Philosophes, ou Sages, quelquefois ils parlent de trois
choses, du Soufre, Mercure, et Sel, et le plus souvent d'âme, d'esprit et de
corps ; cependant tu n'en fais aucune mention.
Il faut,
dit-il, que je me rie de toi, de ce que tu n'entends pas encore les termes des
Philosophes, et qu'ils te soient si peu connus, ou bien c'est que tu veux
m'éprouver ; il faut donc que je te soulage en cela. Sache donc que les
Philosophes entendent par une seule chose le sel des Métaux, ou Pierre
Philosophale, et par deux, le corps et l'âme, dont le tiers est l'assemblage de
ces deux ; à savoir l'esprit, lequel on ne peut apercevoir, d'autant qu'il est
caché en ces deux ; et ainsi l'on peut dire que cet esprit surnage sur les eaux
; or tu le peux lire en Moïse : que cela te suffise. Mais quant à moi je m'en
tiens volontiers à ces deux ; c'est pourquoi prends ces deux lys très clairement
polis, et les ayant renfermés en un cristal bien bouché, sans feu, mets les en
une douce et légère chaleur d'athanor : lors le lys blanc s'épandra au large,
embrassera et contiendra en soi le lys rouge, et d'autant que le lys rouge est
d'une nature ignée, et qu'il reçoit aide de la chaleur externe, il communique et
donne son odeur et haleine de baume chaleureux dans la froideur du lys blanc,
d'où naît un discord, l'une ne voulant céder à l'autre,ce qui procède des
qualités contraires qui sont en eux, comme tu sais, puis ils s'élèvent tous deux
au Ciel, ou pour mieux dire, ils croissent tous deux au Ciel, mais ils sont par
après repoussés par le vent, et ce par plusieurs et tant de fois qu'ils sont
devenus las et fatigués du travail de monter et descendre ; ils sont contraints
de se reposer en terre, et sache que si le bain n'est tellement régi et
gouverné, à ce que leurs natures ne s'élèvent toutes deux à la fois, mais chacun
à part, ou l'une après l'autre, tu ne jouiras jamais de leur odeur : partant
prends bien garde à cette opération grandement remarquable. Or d'autant qu'à
cause de ces deux natures ou qualités ennemies, et contraires, l'un de ces deux
lys ne peut se rendre prédominant sur l'autre, ils se rallient et s'unissent de
telle amitié ensemble, qu'ils ne se veulent plus séparer ; puis après, en cette
union ou ralliement, tout le Firmament s'émeut semblablement, et le Soleil et la
Lune en deviennent ténébreux et obscurcis, autant qu'il plaît au Très Haut ;
après quoi par l'amour du Tout Puissant, l'Arc-en-ciel de toutes couleurs se
fait voir en l'air, pour marquer qu'alors tu ne peux plus douter que Dieu te
soit propice, et que le déluge de ces deux fleurs de lys n'arrivera plus, de
quoi tu te dois réjouir.
Tu apercevras aussi en peu de temps, que la Lune peu à peu se fera voir moins
ténébreuse qu'auparavant, et finalement ornée d'une lueur, blancheur et clarté
d'un très beau lustre, mais le Soleil est encore caché derrière la Lune, lequel
à cause de l'interposition de la terre ne se peut encore voir ; que si tu as les
yeux de l'entendement ouverts, tu apercevras quatre Planètes dans la Lune,
lesquelles par l'éclat de sa lueur, tu convertiras et transformeras en sa
permanente nature.
Mais quand la Lunaire ou l'Écrevisse s'approche du Soleil, et que la chaleur se
multiplie et croît de plus en plus, lors la Lune est offusquée par les rayons et
l'éclat lumineux du Soleil, jusqu'à ce qu'elle soit contrainte de se cacher
derrière lui et dans ses rayons ; comme au contraire cet éclatant Soleil vient
par la conspiration des autres Planètes à se revêtir d'une belle et agréable
couleur, et se trouvant tout irrité par leur moyen, il commence à pâlir, puis à
se couvrir, et devient rouge comme sang : mais d'autant que ces Planètes
s'humilient devant lui, comme devant leur Seigneur, et bon Maître, Dieu l'ayant
ainsi ordonné, il les reçoit finalement à grâce, et se les rend égales, en les
associant à son règne par une étroite union et amitié. Étant donc ainsi unies et
anoblies, elles louent Dieu d'un si grand et si merveilleux ornement, et de leur
si excellente amélioration elles consacrent le tout à sa louange et gloire.
Vois maintenant que je t'ai tiré de ton doute et de ton incertitude, et sois
entièrement dans cette croyance, que tu as acquis l'entière intelligence de
toute l'affaire ; mais il faut que tu gardes le silence, en priant Dieu qu'il te
fasse la grâce d'en user droitement avec beaucoup de discrétion, car si tu fais
autrement tu ne me reverras jamais.
Je restai à cela tellement étonné et interdit, que je n'avais point de paroles
suffisantes pour lui rendre des actions de grâces, quoique je fusse porté et
enclin à lui témoigner toutes sortes de reconnaissances, je ne laissai pas
toutefois avec toute soumission de lui faire encore quelque demande, savoir si
rien n'était plus à ajouter à la Science, et si elle avait là son terme et
accomplissement ; à quoi il me répondit gracieusement : Tu sauras que la vertu
et l'efficace de ces deux fleurs de lys s'amplifient et se renouvellent de trois
jours en trois jours, qu'elles se multiplient et s'ensemencent à milliers ; ce
qui advient lorsque la semence est jetée dans la première et précédente terre ;
ainsi au premier jour les ténèbres paraissent ; au deuxième, une claire lueur de
Lune se fait voir ; et au troisième un Soleil chasse les ténèbres venant de son
couchant, et cette affaire se provigne autant que le Tout-puissant le veut ou le
permet.
De la nature de cette Pierre se forment d'autres pierres précieuses de toutes
sortes ; mais son grand effet tend à la connaissance et au culte du
Tout-puissant, ainsi qu'à la longueur et prolongation de la vie ; et même si
quelqu'un arrive à la possession de la moindre feuille de ces fleurs de lys, il
aura des antidotes contre toutes infirmités et maladies ; comme aussi celui qui
arrivera à la possession de la moindre fleur de lys, aura de quoi se rendre
heureux.
Mais je te reviendrai voir dans neuf mois, et lors je t'exposerai plus au long
les propriétés de ces fleurs, car il faut que je me retire ; j'aperçois
toutefois que tu es en quelque trouble à cause de mon extérieur, d'autant que tu
me vois couvert de cette enveloppe ou jaquette grise, de laquelle je me suis
revêtu, afin de me voiler aux Puissances qui veulent me ravir et me tourmenter
par leurs géhennes ; mais ne t'ai-je pas dit que je suis en mon intérieur et
dedans revêtu et paré d'Or, de Diamants, d'Émeraudes et de Rubis.
A quoi je répartis en grande soumission, reconnaissance, et très humbles
prières, qu'il me fût permis pour un plus grand éclaircissement, de faire encore
cette demande ; je lui dis donc : tous les grands Auteurs nous représentent
qu'il y a de grandes observations à faire au régime du feu, et que les grandes
choses en dépendent, puisqu'il doit souvent être plus ou moins chaud en ses
degrés ; de plus je souhaiterais fort connaître distinctement quelle est la
matière la plus prochaine de la Pierre, de laquelle l'on doit extraire la forme
spécifique, ou bien ces deux belles fleurs ; car encore que je sache la matière
générale, je suis pourtant encore en doute en ce premier point touchant la plus
prochaine, et ce d'autant que Clangor Buccinae nous dit, qu'à peine peut-on
d'une livre de matière en tirer le poids d'une drachme, dont on puisse utilement
opérer en l'oeuvre, et moi je me proposais que d'une livre on en pourrait
préparer plusieurs onces, tant pour le rouge que pour le blanc.
Tu me presses
de trop près, me répondit-il, et tout ce que tu tireras encore de moi
aujourd'hui, c'est que tu prennes garde que sous cette mienne casaque ou
jaquette grise, je porte une chemisette verte et rouge, que si tu la rends polie
et perfectionnée avec les pierres ou cailloux à feu et philosophiques, y
ajoutant de la limaille ou rouille de Mars, et de l'Aigle rouge fixe en
l'oeuvre, alors cette chemisette se perfectionnera grandement, et puis quand tu
l'auras plongée dans une luisante fontaine d'une très claire Lune, cette Lune
l'enrichira de six autres Soleils, bons et valables, que tu retireras à chaque
opération pour ton usage, et que tu pourras chaque semaine te procurer ce
profit, dont tu vivras avec honneur et commodité, même jusqu'à très bons revenus
annuels, en attendant la perfection de ton oeuvre.
C'est ce que l'ami peut ouvertement dire et déclarer à son ami, en gardant
toujours le silence sur ce qui fait l'entière conduite du grand oeuvre, que Dieu
distribue de lui-même ; il s'en est réservé à lui seul la dispensation.
A ces mots mon Docteur s'évanouit et entra dans le vaste et profond de la
montagne, et les deux fleurs de lys demeurèrent au même endroit, auquel se
glissa le dit Agricola, c'est-à-dire l'homme des champs ; je m'avançai pour
cueillir ces fleurs, mais étant arrivé à l'endroit où je les avais vues,
j'aperçus à leur place un gros tas, ou masse de matière, et la vraie Pierre dont
le poids était de plusieurs livres, et tout proche était un Écriteau portant ces
mots ; Dieu vend ces biens par les travaux ; ce qui fut la fin de mon entretien.
SECONDE PARTIE
Lorsque j'eus remercié de tout mon coeur, loué et exalté l'Éternel, seul Dieu
Tout Puissant, Créateur de toutes choses, pour la grâce qu'il m'avait faite de
la révélation ci-dessus ; je pris ma seconde matière (la première matière suivra
ci-après) ; je la baisai de joie comme une chose après laquelle j'avais langui
et soupiré de tous mes sens, et au sujet de laquelle j'avais vécu tant d'années
dans le doute, les misères, tristesses et anxiété ; je la considérai bien avec
grand étonnement, surtout à causa qu'elle n'avait aucune apparence extérieure et
néanmoins elle devait être capable d'accomplir et parfaire un si haut, important
et surnaturel Ouvrage ; il me souvint en ce même moment de ce que le Paysan
m'avait dit, que Dieu en avait ordonné ainsi pour des raisons très importantes,
afin que les pauvres pareillement, et aussi bien que les riches en pussent
jouir, et qu'aucun n'eût sujet de se plaindre envers Dieu, qu'il ait en cela
préféré les riches aux pauvres ; non véritablement, les riches ne s'en soucient
point et encore moins croient-ils qu'une telle vertu se trouve cachée dans une
si vile matière, comme on peut le lire au vingt-huitième feuillet du grand
Rosaire; si nous nommions notre matière de son propre nom, les fols, les pauvres
et les riches ne croiraient point que ce soit elle ; ainsi les pauvres la
rencontrent plutôt à la main que les riches.
Quand donc j'eus bien enveloppé et enclos ma matière, je retournai au logis avec
joie, chantant le long du chemin le Cantique. Je ne fus pas longtemps au logis,
que je commençais à me fournir : 1° d'une bonne partie des choses nécessaires au
Particulier, que le bon Paysan m'avait enseigné, afin qu'avec plus de repos et
de fermeté je pusse vaquer à préparer l'universel ; ainsi je commençai au Nom de
Dieu, j'achetai une quantité considérable de charbon, car cela en consomme
beaucoup; je bâtis à même fin des fourneaux et fours, fort utiles, et en peu de
temps j'eus une provision considérable de charbon ; mais le Démon, ennemi du
Christianisme, ne put souffrir cela, il me causa plusieurs alarmes les unes sur
les autres. Les voisins m'accusaient de mettre leurs maisons en flammes ; mes
amis et autres personnes de connaissance me représentaient qu'il courait un
bruit de fausses monnaies, et que je me départisse d'une entreprise si vaine,
crainte de tomber dans le soupçon ; que je devais plutôt m'adonner à l'exercice
de la Jurisprudence, me disant qu'avec plus de raison, j'y trouverais plus de
succès et de profit, parce que j'étais Docteur en Droit, et qu'il n'y avait que
cet exercice seul qui fût capable de me fournir amplement ma subsistance. Mais
quoi qu'en bonne conscience je ne pusse gagner mon pain par un tel moyen, je ne
laissai pas de faire doubler grandement le prix du charbon, de sorte que les
Forgerons et les Orfèvres m'accusèrent en Justice, comme étant la cause de sa
cherté, se plaignant qu'ils ne pouvaient pas continuer leurs métiers, et avoir
comme auparavant leur nourriture nécessaire, conséquemment qu'ils ne pouvaient à
cause de cela continuer à la République le paiement des impôts et contributions,
car je payais plus chèrement le charbon afin d'être préféré aux autres ; ils
traitèrent ce sujet tout au long, si bien que le Conseil me fit faire la
défense, et savoir en même temps que j'eusse à me désister de cet emploi du
charbon, et vivre dans les Lois de ma vacation ; en somme le démêlé fut si
ample, qu'il me fallut abattre mes fourneaux, partir de là, et chercher un bon
ami qui m'avançât de l'argent, afin que je pusse vaquer avec plus de repos à
l'universel.
Toutefois je ne déclarai à personne le dessein que j'avais ; les mêmes
tribulations et incommodités durèrent presque jusqu'à la troisième année ; Dieu
sait quelles peines cela me donnait au coeur d'entendre mal parler de moi, sans
pouvoir avancer dans l'oeuvre ; même je songeais que Dieu ne trouvât pas encore
à propos de me le permettre : car il faut suivre le chemin où le destin nous
mène et ramène. Le Comte Bernard de Trévisan témoigne semblablement avoir eu
toute la science de l'universel parfaitement, deux ans auparavant qu'il l'eût pu
mettre à effet à cause de plusieurs empêchements. Durant mon voyage je conférai
avec des gens doctes, j'en devins plus savant, et nous nous donnâmes de
mutuelles assistances par science et conférence, ainsi qu'on a coutume de faire
; je fis aussi amas de belle matière, de toutes sortes de mines et de pierres de
travail ; mais je trouvai fort peu, non pas même plus de trois personnes qui
tinssent le droit sentier physique ; ils voulaient tous se servir du Mercure
vulgaire, de l'Or, de l'Antimoine, et de la mine de Cinabre ; et même les
choses plus simples et moindres, en quoi ils erraient tous tant qu'ils étaient,
ne travaillant et ne suivant pas le naturel sentier de la nature ; mais s'ils
l'eussent suivi, ils n'eussent pas erré si misérablement, outre cela un don de
si grande excellence ne s'accorde pas à tous ; que chacun fasse son compte
là-dessus, et s'éprouve bien avant que la perte et le dommage viennent à
l'abattre et surprendre ; remarque cela, celui qui en est capable.
Comme donc j'eus fini le cours de mes voyages, je revins joyeux ou logis, alors
me vinrent bientôt revoir mes prétendus amis, voulant savoir où j'avais été si
longtemps, ce que j'avais fait et ce que je voulais faire : je leur fis une
brève réponse : le monde n'est-il pas assez grand, vous pensez peut-être que
votre ville fait tout le monde; et que hors d'icelle on ne se puisse nourrir ;
mais si vous aviez tant soit peu essayé, vous en jugeriez tout autrement. Il y
a, Dieu merci, assez de gens qui reçoivent et reconnaissent avec grand
remerciement ce que vous méprisez et rejetez avec moquerie ; et vous saurez en
outre que dorénavant je ne vous causerai pas grande incommodité pour le charbon,
car à présent je n'en ai pas besoin.
Ils s'étonnèrent fort de ces paroles, et secouaient la tête pour savoir où
gisait le lièvre, mais je me privai tout à fait de leur compagnie ; je louai une
maison où je ne pris qu'un garçon avec moi.
Après les grâces rendues à Dieu, par le grand désir que j'avais de l'oeuvre, je
me résolus de l'accomplir. La patience et la persévérance étant la principale
partie de l'oeuvre entier ; car tous les Philosophes l'écrivent, et c'est la
clef de l'Art ; chacun peut facilement l'éprouver à sa confusion, en brûlant par
le feu les fleurs, ou autrement brûlant la vertu croissante et la germinante
nature ; c'est pourquoi il me fallait user de grande prudence. Je prenais bien
garde aussi qu'il ne m'advînt quelque accident par la tardivité ou par manque de
chaleur, comme en parle Théophraste en son Manuel, mais finalement par la bonté
de Dieu, tout m'a bien réussi.
Or comme les vapeurs vénéneuses furent retirées de la Pierre, nos deux fleurs
parurent, ainsi que notre Paysan l'avait dit, poussant belles, et doucement
toutefois. J'aperçus plus tôt la blanche, la rouge n'étant pas encore parvenue à
son degré. Je pris une petite feuille de la blanche, la goûtai et y trouvai
véritablement un goût tout à fait doux, excellent et agréable, le semblable
duquel je n'avais jamais éprouvé, et au sujet duquel je me réjouis lors
grandement et de bon coeur. Le surplus de cette petite feuille, je le mis sur du
fer rouge de feu, elle y coula subitement et tourna en fumée au même instant, à
quoi je reconnus que c'était la femelle, attendu qu'elle était si volatile et
légère, et par ainsi j'usai d'une grande prudence, si bien qu'avec celle-là je
me rendis maître de la rouge, laquelle ne se souciait en façon quelconque
d'aucun travail, et ne fuyait point, mais demeura constante et maîtresse du feu.
Toutefois, avant que j'eusse recouvré ces deux lys, j'eus d'assez grandes
traverses, dont je ne veux faire ici mention, mais cela fut bientôt oublié,
quand j'eus recouvert ces deux lys ; je pensai au Paysan, et m'étonnai de son
profond et sublime jugement ; je suivis toujours l'instruction qu'il m'avait
donnée, et joignis les deux lys ensemble, et en cette jonction j'aperçus lors
des choses remarquables, à cause de quoi je les enfermai ensuite toutes deux en
un beau vaisseau de cristal, que je posai tout doucement en un lieu qui donnait
une grande chaleur.
Or comme le Soleil commençait à luire, le lys blanc vint à s'étendre, comme s'il
eût été tout eau, et tout ainsi qu'on voit la rosée du matin sur l'herbe ou
comme une larme claire de Soleil reluisante comme la pure Lune, toutefois avec
une certaine réflexion bleuâtre ; et y portant l'oeil de plus près, je vis
qu'elle avait consommé en eau et avalé la fleur rouge; en sorte que je n'en pus
pas voir la moindre feuille, elle ne pouvait pourtant pas cacher tout le rouge,
le rouge est d'une complexion plus ardente et plus sèche, et la blanche plus
froide et plus humide ; et comme la lueur du Soleil lui vint extérieurement en
aide elle tâcha de se remontrer, mais elle ne put à cause de la force de la
blanche, le naturel de laquelle prédominait encore ; toutefois elles
combattirent doucement, s'accordant toutes deux également dans le Ciel, ou vers
le Ciel, mais elles en furent rabattues et repoussées par les tourbillons des
vents ; cela dura jusqu'à ce que toutes deux liées ensemble, furent contraintes
de demeurer en bas, car la racine qui les avait pu faire croître leur était
retranchée.
Alors commence la première matière de la Pierre et des Métaux, après cela
l'obscurité commença peu à peu à paraître, et le Soleil et la Lune furent de
plus en plus couverts cela dura un bon espace de temps, ainsi qu'il se peut lire
au Traité du Comte Bernard de Trévisan ; cependant parut le signe pacifique et
gracieux de l'Arc-en-ciel, avec toutes sortes de couleurs admirables, dont le
Paysan dit que ce serait un signe de réjouissance et une augure de bonne foi.
Or, comme la Lune vint à se faire entrevoir, toutefois pas bien claire, le
Soleil commença de luire plus ardemment, jusqu'à ce que la Lune fût pleine, et
que transparente elle portât une lueur claire, comme si c'eût été toutes perles,
et des morceaux de diamants légèrement pilés ; de quoi se réjouirent quatre
Planètes ; car par ce moyen elles peuvent être muées de leur naturel imparfait
en la splendeur de la Lune, et en sa nature, ce que ledit Comte Trévisan nomme
en sa parabole, la chemise du Roi. Donnant ensuite le troisième degré de feu,
toutes sortes de fruits excellents vinrent à croître et pousser, comme des
coings, des citrons et des oranges agréables à voir, sortant d'un terroir tout
de hyacinthes, lesquelles se transmuèrent en peu de temps en aimables pommes
rouges, qu'on surnomme de Paradis, croissant d'une terre de rubis, et enfin
elles se changèrent et congelèrent en un admirable, clair, pur, et toujours
luisant Escarboucle, lequel rend par sa propre lueur, toutes les Planètes
obscures, et de couleur sombre, et est luisant, éclatant et céleste, et cela en
fort peu de temps après cela, comme j'eus fait quelques projections sur quantité
de livres de Métaux épurés et purgés, que je me réjouissais extrêmement, et
m'émerveillais de ce que si peu de notre Pierre eût un si grand pouvoir de
pénétrer et changer en un moment toutes sortes de Métaux, c'est à savoir une
partie en mille autres, je me mis à bas, m'assoyant après ma Pierre faite ; puis
mes actions de grâces rendues à Dieu, j'eus la volonté de faire encore une
projection, en intention et à dessein que je pusse approcher de plus près la
connaissance du fondement de la projection.
Justement comme je venais de m'y mettre, voici que ce bon homme de Paysan
arrive, il me salue aimablement d'abord ; je fus fort surpris, parce que je ne
le reconnus pas assez tôt, et qu'il entra subitement, vêtu pour lors d'une robe
de diverses couleurs ; je me laissai aller sur le banc, car les jambes me
tremblaient. Il me dit d'une bouche riante, et avec des gestes agréables, ne
crains point, mon cher frère, tu as un don gracieux et clément avec toi, et ce
que ton coeur désire au monde. Je te reviens voir maintenant, comme je t'ai
promis, pour t'informer davantage des secrets et d'autres choses plus relevées
et sublimes ; car ceci n'est que le commencement ; et pour te les enseigner
fondamentalement, entends, que faire la Pierre, c'est une chose de peu
d'importance, simple et légère, ainsi que maintenant tu la dois avouer toi-même,
et que Dieu éternel, pour des raisons très importantes, l'a ainsi disposé ; mais
pour ce qui est de comprendre bien et parfaitement ; il faut que tous les
Philosophes, Adam, Hermès, Moïse, Salomon et Théophraste se courbent et
s'abaissent devant elle ; reconnaissant publiquement et faisant connaître à tous
leur impuissance en ce point. Comme aussi Zachaire (qui a souvent fait la
Pierre) le témoigne ouvertement, fol. 39, disant : Notre Médecine est une
Science autant divine que surnaturelle. En la seconde opération, ou conjonction,
il est, a été, et sera toujours impossible à tous les hommes de la connaître et
découvrir de soi-même, par telle étude ou industrie que ce soit, fussent-ils les
plus grands et experts Philosophes qui jamais furent au monde, car toutes les
raisons et expériences naturelles nous défaillent en cela. Mais afin que, comme
je t'ai promis, tu puisses être plus instruit et informé, autant qu'il est
permis, et libre d'en révéler et découvrir le secret, je veux te faire entendre
la chose fondamentalement.
Sois toujours assidu en prières ferventes auprès du Souverain ; tu peux suivre
la route que je t'ai montrée car de Dieu viennent tous les plus grands trésors
de science ; alors tu seras sans doute éclairé, illuminé et doué d'une grande
intelligence, de toute science et connaissance, suivant le témoignage du
très Sage Roi Salomon, au Livre de la Sapience, ch. 7, v. 8. Car l'Éternel Dieu,
et avec raison, demande d'en être prié, il la donne aussi volontiers qu'il a
fait autrefois à d'autres, à ceux qui de coeur soupirent après, avec dessein
d'user d'un si souverain don de Dieu, à son honneur, à leur salut, et au
soulagement de leur prochain, et des pauvres nécessiteux.
Or, parce que j'ai su que tu as déjà procédé un peu imprudemment à la projection
et à l'établissement de la teinture ; il faut que tu saches que tu dois bien
purger et nettoyer les Métaux de leurs accidents adustibles, ou saletés
sulfureuses, avant que tu fasses les projections, autrement cela te tournera à
perte, et la manière en laquelle on fait ce nettoiement, est décrit aux Livres
des Philosophes et se traite ainsi.
Comme il disait cela, il prit un morceau de cuivre, le mit dans un creuset, jeta
une poudre purgative dessus pour le calciner, et avec un fil de fer courbé il en
tira ce qu'il y avait de terre contraire, rouge, puante, qui ne se peut brûler,
et empêche la teinture de pénétrer, et laquelle était en qualité comme fange, ou
écume, tant et si longtemps, que la Vénus devint nette et pure et en fange
blanche ; et comme je versai alors ma teinture dessus, elle traversa et pénétra
subitement jusqu'au dedans, et le corps de Vénus fut entièrement changé en un
vrai Or excellent, et meilleur que l'Or naturel de Hongrie ; sur quoi je me
réjouis lors de grand coeur, et je le remerciai humblement de l'avis si précieux
qu'il m'avait donné, car l'orgueil ni l'amour-propre ne doivent jamais enfler de
vanité le coeur d'un vrai Philosophe, qui en cette science universelle et
immense, doit toujours se dire ignorant, malgré toutes les connaissances et
découvertes qu'il peut y avoir faites.
Ensuite ce petit Paysan me fit récit pareillement des purifications et
nettoiements des autres Métaux, dont l'essai fut un agréable plaisir et
divertissement ; il me dit encore : tu dois savoir qu'avec cette Pierre blanche,
fixe, tu feras toutes sortes de pierres précieuses blanches, comme diamants, des
saphirs blancs, des émeraudes, des perles semblables ; comme aussi avec la
Pierre jaune, avant qu'elle soit en son haut rouge, tu peux faire toutes sortes
de pierres jaunes, comme hyacinthes, diamants jaunes, topazes, et avec la rouge
tu feras des escarboucles, rubis, grenats ; lorsque les pierres sont préparées
et apprêtées, elles surpassent de beaucoup les Orientales en noblesse, vertu et
magnificences. Je te veux moi-même dresser à cela et t'y donner la main, car on
y peut aisément commettre quelque faute
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